Assemblée Générale Extraordinaire du 7 septembre 2019




L'enjeu

Pour l'archevêque Jean, le Père Jean Gueit, et leurs partisans, c'est de rejoindre le Patriarcat de Moscou.
Pour un certain nombre de fidèles et de prêtres, dont la majorité du Conseil d'administration (appelé aussi conseil de l'archevêché, conseil diocésain, CA), c'est renouer un dialogue avec le Patriarcat œcuménique, et en cas d'impossibilité , rechercher une voie canonique de secours   ( Patriarcat de Roumanie, d'Antioche ...)

Convoquer ou ne pas convoquer une AGE?

L'AGE a été autoritairement convoquée par l'archevêque, soutenu par quatre des membres du CA, dont le vice-président et le secrétaire, et contre l'avis des huit membres restants, qui considéraient cette consultation comme prématurée (voir lettre du 28 juin), la date malvenue, car trop proche de la fin des vacances d'été, pendant lesquelles les communications étaient réduites ou inexistantes.
En outre, le texte de la convocation n'indiquait pas le but de la consultation, l'AGE étant invitée à "discuter de l'avenir de l'archevêché". Cette discussion aurait pu à la rigueur avoir sa place dans une AGO.

Drame en 4 actes

Acte I

Après un office d'actions de grâces, mise en place du bureau de l'assemblée et annonce du programme de la séance.

Acte II
Introduction, interventions, pause déjeuner.

Acte IIII

Reprise des débats et vote.

Acte IV

Résultats et conclusions.

Les personnages

L'archevêque Jean Renneteau, président de droit de l'Assemblée

L'archiprêtre Jean Gueit, vice-président du conseil d'administration, désigné par le président comme premier vice-président de l'Assemblée Générale Extraordinaire.

Mme Elisabeth von Schlippe, seconde vice-présidente.

M. Jean-Claude Polet, modérateur, pressenti lors du dernier CA du 30 septembre 2019.

Le peuple des clercs et des laics  ayant répondu à la convocation (parmi lesquels les membres du CA), au nombre de 186.

Un huissier de justice invité pour témoigner du bon déroulement de la séance.

I

Courte allocution de l'archevêque Jean qui réaffirme sa légitimité puisqu'il n'a pas sollicité le congé canonique que lui a octroyé le Patriarcat de Constantinople, et rappelle que l'instant est grave.
Il annonce la constitution du bureau "tel que choisi par le CA".
Contestation de certains membres du CA, protestations de la salle, qui rappelle les règles de désignation des vice-présidents et demande une élection à bulletins secrets, proposant le nom d'un autre prêtre comme premier vice-président.
Il est à noter que le service des micros-baladeurs pour la salle, habituellement par quelques jeunes gens agiles, ne l'est que par une seule personne, qui se montre extrêmement réticente, forçant les intervenants à crier de leur place, sans pour autant être entendus, et qui permet à l'archevêque de répéter plusieurs fois "qu'est-ce qu'il a dit, qu'est-ce qu'il a dit ? Je n'ai rien compris". Il en sera ainsi tout au long de la séance.

L'archevêque Jean, agacé, parle d'obstruction volontaire en vue d'empêcher la tenue de l'assemblée.
Ce reproche sera repris et décliné par le vice-président et les partisans actifs du rattachement au Patriarcat de Moscou, chaque fois que seront dénoncées de flagrantes violations des règles et des statuts. Les "perturbateurs" seront qualifiés de procéduriers.

L'archevêque tente pour la première fois d'en appeler directement au "peuple", c'est à dire à l'Assemblée, en l'invitant à voter à main levée pour approuver le bureau. Protestations dans la salle. L'incident est clos autoritairement.

Nicolas Lopoukhine, secrétaire du CA et membre de la commission des mandats, est alors invité à indiquer le nombre des délégués présents. Le quorum est atteint.

De la salle fusent des questions, concernant ceux qui n'ont pas été invités. Il est fait lecture de la lettre du Père Peter Sonntag de Düsseldorf. Sont évoqués les prêtres scandinaves, Nicolas Lopoukhine explique que ces prêtres ont quitté l'archevêché depuis l'AGE du 23 février et n'en font donc plus partie.
Il est rappelé que pour une radiation, il faut une décision après audition du prêtre et des représentants de la paroisse concernée. Cette procédure n'a pas été respectée. Le secrétaire  répond que Mgr Jean en a régulièrement parlé lors des conseils diocésains
C'est exact, mais il s'en est servi comme d'une menace : "regardez, les prêtres nous quittent, il y en a d'autres qui vont partir !!!" et non pour demander l'avis du conseil.

Le Père Jean Gueit annonce que l'Assemblée va devoir voter sur la seule proposition concrète, celle du représentant du Patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine Sevriuk, les autres pourparlers n'ayant pu aboutir. Il rappelle que les personnes désireuses d'intervenir devront s'inscrire au préalable et qu'il leur sera accordé 5 minutes pour parler. Il ne s'agit pas de débattre, mais d'exprimer une opinion.

II

Après intervention de l'archevêque Jean qui martèle son argument favori : "nous allons devoir choisir entre la Vie (rattachement à Moscou) ou la Mort..." et présente la vision tragique des paroisses isolées, laissées à elles-mêmes et privées de canonicité, le Père Jean Gueit, interpellé sur le texte du métropolite Antoine Sevriuk  qui doit servir de base pour un vote, explique qu'il s'agit d'une espèce de Tomos, une "gramota" qui contient les éléments pour une discussion ultérieure.
Nous devrons donc voter sur un projet qui n'est pas abouti!

Suivent les interventions d'une trentaine de personnes. Une notable majorité exprime ses réticences, détaillant des aspects inquiétants ou inacceptables du projet soumis à leur vote.

Les intervenants favorables au projet invoquent le lien naturel, historique, sentimental, à l'Église de Russie. Mais la plupart d'entre eux insistent sur leur confiance filiale pour leur pasteur.

Le modérateur veille avec fermeté à n'accorder à chacun que le temps imparti, et à empêcher les manifestations bruyantes des supporters de l'archevêque (applaudissements, cris, huées) dont ils sont coutumiers. Il y parvient globalement à l'exception de quelques débordements.

L'archevêque et le premier vice-président sont invités à conclure. Le Père Jean Gueit rappelle le désir exprimé par une grande majorité de délégués de l'AGE du 23 février de conserver l'unité de l'archevêché , et l'ovation faite à Mgr Jean.

La tonalité générale de l'intervention a pour but de mettre en garde contre la prise en otage de l'Assemblée par le CA. Seule l'Assemblée est souveraine, pas le CA, qui n'a pas le pouvoir. Véhémente intervention du "canoniste" le Père Jivko Panev "L'Église n'a rien à faire d'une majorité parlementaire, c'est le peuple qui décide".

III

Après le repas, l'archevêque invite à procéder au vote. Il affirme que le CA le 30 août dernier s'était prononcé sur le choix des questions à poser:
1. rattachement ou pas au PM.
2. poursuite ou pas des pourparlers avec le PO
3. mise en pratique des propositions du Père Georges Ashkov.

Mais pour lui, les questions 2 et 3 ne sont plus d'actualité, le Phanar persistant dans sa décision du 28 novembre (il oublie de dire au passage qu'il a tout fait pour que ces négociations n'aient pas lieu), et le Père Georges ayant retiré son projet.

Le Père Jean Gueit explique alors qu'un bulletin de vote comportant les trois points a bien été prévu. Un membre du CA lui fait remarquer qu'il est absurde d'avoir à choisir entre trois options dont deux ont été supprimées. Le Père Jean annonce qu'ils ont préparé un second bulletin, ne comportant que la question N°1.

Le Père Christophe D'Aloisio , membre du CA, demande la parole. L'archevêque la lui refuse, au prétexte qu'il s'est déjà exprimé, et rejette toute question de procédure, en des termes violents, accusant le Père Christophe de perturber depuis des mois le travail du CA  avec ses questions procédurières. Quelques membres se lèvent pour appuyer la demande du Père Christophe. Le Père Alexandre Fostiropoulos, membre du CA lui aussi, réaffirme le désaccord d'une majorité des membres du CA avec l'option de l'archevêque et du Père Jean Gueit, l'opacité des négociations avec le Patriarcat de Moscou, l'étouffement systématique de toute autre tentative de négociation.

Les noms des quatre scrutateurs sont rapidement approuvés et l'on passe au vote.

IV

Résultat du vote : oui : 58,1%, non 41,9 %. Les 2/3 des votes exprimés requis pour l'adoption de la proposition de passage à Moscou ne sont pas atteints . Un grand silence accueille ce résultat. L'archevêque se lève, dit l'accepter, mais déclare se rattacher au Patriarcat de Moscou avec les paroisses qui voudront le suivre, entraînant l'archevêché. Il prévoit  une nouvelle AGE pour entériner ce choix.

Vives protestations dans la salle. Il est fait appel de nouveau au peuple, lui proposant de voter à main levée. Ce qui est totalement inacceptable, un vote régulier venant d'avoir lieu.  L'archevêque semble se rendre à la raison et déclare vouloir partir, avant de se rasseoir. Une seule voix fuse dans les premiers rangs pour l'en dissuader : "Non!"

Les débats sont ré-ouverts : plusieurs interventions d'ordre statutaire, une intervention confuse du "canoniste", certaines sérieuses, d'autres fantaisistes, comme celle, tonitruante,  du prêtre d'origine moldave  Basile Sevciuk, prêt , si on l'en croit, à mobiliser dix mille Moldaves autour de l'église de la rue Daru, pour entraîner l'archevêché à Moscou !

L'archevêque reprend le micro, dit ne pas vouloir nous abandonner, et s'apprêter à commémorer à la liturgie du lendemain le patriarche Bartholomée, en attendant de faire savoir lundi sa décision.

Le drame s'achève sur l'image d'une vieille dame qui s'approche de la table du bureau, s'appuyant sur une béquille , se voit refuser la parole, et, avec son bel accent du midi,  répète désespérée à l'archevêque et à Jean Gueit, qui font mine de ne pas l'entendre : "Vous devriez avoir honte!".

Rideau

Alexis Obolensky, 9 septembre 2019


Compte rendu informel de l'Assemblée du 7 septembre 2019

(Version 'courte'; j'ai essayé d'être la plus rigoureuse possible, certains détails ne sont peut-être pas corrects - pour la forme, pas sur le fond - , je n'ai pas pris beaucoup de notes et je voudrais publier cela vite pour réduire le danger de fake news; je vais faire des corrections ensuite ; je demande à d'autres participants de m'aider à corriger ce texte. Je publie ce resumé maintenant pour ne pas éclater l'information et les commentaires dans des publications différentes.)
L'AGE a débuté avec un office d'intercession lors duquel l'archevêque a aussi prononcé des prières de repentir légèrement adaptées.
Ensuite, l'archevêque Jean, après une très courte introduction où il nous annonce qu'il est encore notre évêque légitime, puisqu'il n'a pas demandé congé de Constantinople et ne l'accepte pas, et qu'il est aussi le président de l'assemblée pour les raisons expliquées dans le texte publié quelques jours auparavant, Mgr Jean nous redit qu'il va accepter et se soumettre à la décision de cette Assemblée. Il rappelle le moment crucial que nous vivons et parle d'un choix décisif à faire.
Il annonce ensuite que nous allons maintenant passer au choix du bureau. Il affirme que le bureau a été désigné par le conseil de l'Archevêché, qui propose p. Jean Gueit et Lisa Von Schlippe comme vice-présidents et Jean-Claude Polet comme modérateur. Immédiatement, quelques voix s' élèvent dans l'Assemblée en réclamant un choix par vote secret des vice-présidents. L'archevêque affirme que ceux-ci ont déjà été choisis par le conseil et on n'a donc plus besoin de les choisir. Un membre du conseil, p. Christophe D'Aloisio, se lève pour corriger cela : Le conseil n'a pas traité de cette question, l'archevêque avait alors affirmé que le choix allait se faire par l'assemblée. Il est appuyé par Alexis Obolensky, autre membre du conseil.
Ceux qui avaient demandé le vote lui rappellent le paragraphe des statuts qui prévoient le choix par l'assemblée, et demandent un vote secret, ils répètent cette demande quand elle est refusée à plusieurs reprises et avec des reproches de la part de l'archevêque de faire perdre du temps et empêcher ainsi une décision. L'archevêque demande à ceux qui sont d'accord avec les vice présidents nommés par lui de lever la main. Certains lèvent la main, mais cela dure quelques secondes et personne n'a le temps de compter. D'autres voix se lèvent dans la salle pour protester en disant que c'était une procédure incorrecte, mais le choix est imposé.
(Parenthèse explicative et commentaire personnel: cette insistance sur l’élection par vote du bureau, surtout des vice-présidents, n'est pas une formalité inutile et chronophage comme il a été dit, et l'argument que certains ont avancé, que cela a toujours été fait ainsi dernièrement, sans contestation, ne tient pas. Les vice présidents et surtout celui choisi parmi les prêtres sont très importants pour le déroulement, d'une AGE. C'est ce vice-président ci qui peut d'après les statuts changer, en cas d'urgence exceptionnelle, l'ordre du jour, qui doit être, sinon, celui de la convocation de début juillet, envoyée donc dans le délai d'au moins 2 mois avant l'AGE. Or l'ordre du jour était selon cette convocation 'discuter de l'avenir de l'Archevêché'. Même dans la convocation personnelle faite aux membres, il n'y avait pas question de vote. Or le p. Jean Gueit a, tout de suite après sa désignation, assumé que l'ordre du jour contenait un vote. Il semble donc – c'est un commentaire personnel - que l'archevêque avait décidé pour cette raison de choisir en tant que vice président prêtre p Jean Gueit, qui est celui qui dans le conseil a le plus œuvré au développement de la solution 'Moscou'.)
A l'annonce faite ensuite de nommer des déléguées (187) et du quorum largement atteint, quelques personnes de l'assemblée se lèvent pour parler des irrégularités dans la liste des membres invités. On lit une lettre de la part de p. Peter Sonntag (Düsseldorf) qui déplore ne pas avoir reçu d'invitation. Le cas des paroisses scandinaves est évoqué également. Le secrétaire du Conseil Nicolas Lopoukhine affirme que la commission des mandats a eu connaissance que ces paroisses avaient quitté l'archevêché ou a eu connaissance du fait que certains prêtres, dont p Peter Sonntag, avait commémoré un autre évêque. On lui rappelle que les statuts prévoient pour une rature officielle de la liste des membres une procédure spéciale, permettant la vérification de cela et un appel des représentants de la paroisse pour s'expliquer devant le conseil. Or, cette procédure n'a pas été respectée, et d'ailleurs ces cas n'ont pas tous été présentés aux débats des réunions du conseil. Les listes des membres et des membres invités n'ont d'ailleurs pas été rendues visibles au Conseil. (J'ai remarqué, plus tard, la présence de Jérémie Déchelotte de la paroisse de Tours, qui a pris la parole, or, je me rappelle que lors de la précédente assemblée, il avait pris la parole à la fin, avec un discours très favorable à une décision immédiate de passage au PM, sans être membre. J'apprends ensuite qu'il a été dernièrement ajouté sur la liste des membres en tant que chantre titulaire. Ce n'est qu'une des irrégularités, mais il est difficile d'en savoir plus puisque, d'après le témoignage de plusieurs membres du Conseil, la liste est restée invisible pour eux.
L'archevêque et p. Jean Gueit nous annoncent alors que nous allons discuter sur la seule proposition faite à nous, celle de Mgr Antoine, après une pause café, et après le repas vers 13h, nous allons passer à un vote. Ceux qui veulent parler doivent s'inscrire dès le début sur une liste, on accordera a chacun 5 minutes de parole maximum. (On n'annonce pas officiellement que l’ordre du jour a été changé, on l'implique par cette annonce) P. Alexis Struve demande que le temps de parole ne soit pas limité à 5 minutes, parce que la question étant complexe certains auraient besoin d'un temps de parole plus important ; il demande que le vote soit reporté à plus tard dans l'après-midi. L'archevêque propose alors qu'on enlève la pause café prévue pour une demi heure, et qu'on passe directement à la discussion. Il demande de voter à main levée 'qui veut renoncer à son café'. Comme la majorité semble être d'accord, nous passons directement aux interventions. On nous demande de venir prendre la parole d'après un ordre établi par le bureau de l'assemblée (l'ordre semble aléatoire). On ne sait donc pas à quel moment et après qui on va prendre la parole. Parmi les environ 35 personnes qui s'expriment, environ ¾ d'après mes estimations approximatives s'expriment contre ou se montrent sceptiques envers la proposition de Moscou et contre un vote immédiat, et ¼ , pour le passage à Moscou ou pour suivre l'évêque inconditionnellement.
Parmi ceux qui étaient contre un passage à Moscou (ou en tout cas contre une acceptation immédiate de la proposition du métropolite Antoine), il y a eu :
1) Ceux qui donnaient des arguments de principe contre l'acceptation d'un rattachement au PM, en évoquant leur expérience personnelle ou paroissiale très négative avec Moscou, le fait qu'ainsi, on ne serait plus en communion avec Constantinople, les liens avec l'état russe, le manque de liberté etc, ou qui critiquaient concrètement le texte de Mgr Antoine. Parmi ceux-là, Irène Mojaïsky a repris son commentaire publié sur internet deux jours avant, amélioré par de nouveaux points précis. (v. le groupe Église locale en Europe Occidentale)
2) Ceux qui s'opposaient à une élection immédiate en évoquant le manque de temps pour avoir lu les documents (la proposition de Moscou n'avait même pas été traduite en anglais, elle avait été publiée 4 semaines avant l’assemblée, pendant les vacances et longtemps après la convocation et ne laissant pas aux paroisses le temps d'en discuter), en évoquant les difficultés juridiques d'une décision et le besoin d'analyser d'autres options qui s'ouvrent à nous, surtout après la lettre de congé reçue par l'archevêque Jean. L'absence d'alternative, le non-choix offert entre Moscou et rien, ont aussi été évoqués.
Parmi les options mentionnées, une commence à prendre forme maintenant, mais elle n'a pu être présentée que brièvement à cause de l'ordre du jour centré sur l'acceptation ou le rejet de l'option de Moscou. Daniel Lossky annonce que Mgr Joseph renouvelle sa proposition faite à l'archevêque et à tous ceux qui l'ont approché de nous accueillir en tant qu'entité épiscopale rattachée à son diocèse. Cette proposition avait été faite avec la condition que notre archevêque demande et reçoive une lettre de congé canonique, condition qui est remplie maintenant.
3) Ceux qui plaidaient pour une acceptation de la proposition de Moscou, en affirmant :
- que c'était la seule possibilité de rester unis et canoniques, que cela étant le choix de l'archevêque ils allaient le suivre, ou
- que c'était la voie logique, historique à prendre, ou
- que c'était une bonne proposition, qui nous donnait la garantie d'une quasi autonomie au sein du PM.
Le modérateur, Jean-Claude Polet, a essayé, en général avec sucés, de limiter le temps de parole à 5 minutes, et a demandé à plusieurs reprises à l'Assemblée de s’abstenir d’applaudissements qui n'ont pas lieu d'être dans une église, mais cette injonction a plusieurs fois été ignorée, chaque fois pour appuyer une intervention pour soutenir le choix du passage au PM.
A la fin des interventions (mais certains de ceux qui s'étaient inscrits n'ont finalement pas été invités à parler), p. Jean Gueit a repris la parole surtout pour répondre (sans limite de temps) à la critique énoncée par Irène Mojaïsky, sur sur le paragraphe concernant l'élection des archevêques et le danger de réorganisation de la diaspora, que Irène Mojaïsky interprète comme une annonce sûre de l'intention de Moscou de nous dissoudre dans les autres diocèses existant en Europe occidentale. Elle n'a pas eu l'occasion de répliquer à ses réponses.
D'après p Jean Gueit, ce texte n'est pas un texte définitif mais une base pour notre entrée au PM. Mais c'est pourtant sur l’acceptation de ce document que le vote a finalement porté (v. photo attachée).
Après la pause repas, l'archevêque prend la parole pour nous annoncer que nous allons passer au vote. Il nous explique qu'on va voter sur les bulletins que le Conseil avait préparé suite à la rencontre du 30 août, contenant un triple choix : 1) acceptation de la proposition de Moscou, oui/non, 2) acceptation de l'injonction de Constantinople de continuer le dialogue avec lui oui/non et 3) acceptation de la proposition du p George Ashkov. Il précise que les deux dernières options ne sont plus d'actualité, à la suite de la décision du synode publiée le 31 août et de la déclaration de p. George Askhov publiée sur le site de l'archevêché. P. Jean Gueit précise aussi que tout vote portant plus d'un choix seront invalidés. Tout de suite des personnes se lèvent dans la salle pour poser des questions sur la forme de ce vote. P. Christophe D'Aloisio qui demande la parole pour faire une critique de procédure est rabroué par l'archevêque qui s'emporte et lui dit que les questions étaient pour la matinée, que maintenant on n'en a plus le temps. Quand p. Christophe D. insiste en affirmant que c'est une question sur la procédure, l'archevêque Jean s'emporte en lui disant que ses questions de procédure entravent le travail du Conseil depuis des mois et qu'il (p. C.D.) travaille pour la destruction de l'archevêché, qu'il désire. On ne donne pas le micro à p. Christophe qui n'arrive donc pas à exprimer sa critique, mais d'autres l'expriment en levant la voix dans la salle, sans microphone, et en protestant contre un vote si opaque, portant sur des questions non discutées lors de la première partie de l'assemblée et qui ne sont, d'après l'archevêque lui même, plus d'actualité. Suite à cela, p. Jean Gueit annonce que nous allons alors voter sur les bulletins alternatifs que 'le conseil a préparés', portant uniquement sur l'acceptation ou le refus de la proposition de Moscou (v. photo).
Entre temps, plusieurs membres du Conseil viennent devant pour appuyer l'objection soulevée par p. Christophe L'archevêque a utilisé plusieurs fois le nom du Conseil ou a choisi le pronom 'nous' pour annoncer des décisions prises sans le Conseil ou contre son avis. Un de ces avis est la décision de voter et le choix des questions du vote (le Conseil n'avait pas proposé ces trois questions au vote, mais à la discussion). On ne leur donne pas le micro, p. Jean le détient et leur répond mais on n'entend pas tout ce qu'ils essayent de dire, même du 5è rang où je me trouve. Finalement p. Alexandre Fostiropoulos reçoit l'accès au micro et exprime le désaccord de la plupart des membres du conseil avec plusieurs affirmations faites par l'archevêque et le vice-président, p. Jean Gueit, en leur nom. Il parle aussi des mi-vérités et d'entraves faites lors des derniers mois aux autres voies pour l'Archevêché, de l'opacité des négociations avec Moscou (qui ont été faites seulement avec une partie de la commission désignée d'abord à s'occuper de cela), et du fait que les autres options ont systématiquement été étouffées par un petit groupe autour de l'archevêque.
Finalement, après l'annonce des scrutateurs proposés par l'archevêque (non contestée, votée à main levée mais pas comptée) on passe au vote.
Après dépouillement , le résultat est annoncé:
186 votes, dont 6 blancs et un annulé
OUI = 104 = 58,1 %
NON = 75 = 41,9 %
Les deux tiers des votes valables exprimés n'est donc pas atteint et le résultat du vote ne permet pas l'acceptation de la proposition du PM.
Un silence de mort règne alors sur la salle pendant une petite minute, pendant laquelle l'archevêque semble se recueillir, prend le microphone et commence à parler. Il nous annonce d'abord qu'il accepte le résultat du vote. Mais, il ajoute, que, puisque l'Archevêché se trouve maintenant dans une situation de non canonicité, il nous propose la chose suivante : Il passe au PM et les paroisses qui le désirent le suivent en le commémorant. Ensuite, il organise une nouvelle assemblée dans les délais prévus par les statuts, pour revoter sur le sort de l'archevêché. Ceci n'étant pas clair, des voix s'élèvent pour demander une explication : l'archevêque propose-t-il de former un nouvel archevêché en dehors de l'Union diocésaine duquel il est président ? Car s'il se rattache au PM, il sort de cette union et ne peut plus être son président et déclarer une assemblée. L'archevêque affirme qu'il s'agirait du même archevêché, et non pas d'un autre. Des voix s’élèvent contre cela mais elles n'arrivent d'abord pas jusqu'au microphone. Plusieurs personnes, dont p. Jivko Panev et un autre prêtre dont je ne retrouve pas le nom pour le moment, se lancent dans des explications difficiles à suivre sur la différence entre archevêché d'après le droit canon et l'union diocésaine, en essayant de justifier la proposition de l'archevêque de passer à Moscou et en même temps rester le président de l’Archevêché en tant qu'association (l'Union diocésaine). Quelqu'un propose même de voter par main levée, qui veut suivre l'archevêque à Moscou, mais des voix s'élèvent à nouveau pour protester : 'Nous venons de voter!'
Ensuite, on rouvre une séance de discussion avec des interventions de 5 minutes.
Plusieurs personnes expriment:
- d'un côté, des critiques de forme, en précisant que Mgr Jean ne peut pas, d'après nos statuts, en même temps commémorer le patriarche de Moscou et rester président de l'Association; on lui demande de rester notre archevêque; critique et étonnement de la proposition d'ignorer le résultat du vote en tant que conséquence immédiate sur l'archevêché. (Mgr Jean avait, en effet, promis de respecter le résultat du vote, v. plus haut).
- d'un autre côté, des commentaires de fond, affirmant que notre choix était irresponsable ou inacceptable du point de vue canonique et nous jetaient dans la non canonicité ; l'attachement à cet archevêché et à l'évêque. Une intervention parmi celles-ci est extrêmement violente, celle de p. Basile Sevciuc. Il s'exprime en parlant très fort et en accusant violemment certaines personnes qui avaient pris la parole pour faire respecter les statuts, et en disant que ce n'est pas lui mais ceux qui avaient voté contre Moscou qui sont des maffieux irresponsables qui veulent détruire cet Archevêché, que nos paroisses sont minables, pas comme sa paroisse composée de milliers de moldaves tous favorables au passage au PM. Il promet de venir devant la cathédrale et l'entourer de dix mille moldaves pour provoquer de force le passage à Moscou. Il part en criant encore dans la salle qu'il devrait avoir une kalachnikov maintenant.
L'AGE doit être close, nous devons libérer l’église où un office catholique doit avoir lieu. L'archevêque apparemment touché et en désarroi affirme d'abord que puisque c'est ainsi, il va demander sa retraite, et qu'on se débrouille sans lui. Finalement, l'archevêque revient au micro pour annoncer qu'il a décidé, pour permettre aux prêtres de célébrer la liturgie le lendemain, de commémorer le patriarche Bartholomée ce dimanche, et jusque lundi, il réfléchira et nous communiquera sa décision.
L'assemblée est clôturée avec une courte prière.
Juste à la fin, une déléguée plus âgée (déléguée de la paroisse de Biarritz) vient devant et dit avec une voix forte à p. Jean Gueit 'Vous devriez avoir honte !'

Compte rendu de l’Assemblée Générale extraordinaire de l’Archevêché qui s’est tenue le 7 septembre 2019 à Paris

(texte établi par les représentants de la paroisse Saint Serge à Paris, il ne s’agit pas d’un communiqué officiel ni de l’Administration diocésaine, ni de la Paroisse Saint Serge.)
L’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) s’est tenue dans l’église du couvent des Frères dominicains, le samedi 7 septembre dernier, dans une atmosphère très tendue, parfois confuse, même si les interventions des uns et des autres, souvent très contradictoires, ont, dans l’ensemble, gardé la retenue qu’il convenait à ce débat. Sur décision unanime du conseil diocésain un huissier a assisté à toute la séance et prenait des notes sténographiques.
Après la célébration d’un court office d’intercession, à 9h30, Mgr l’archevêque Jean de Charioupolis ouvre l’assemblée, en annonçant que la lettre de congé qui lui avait été envoyée par le patriarche œcuménique Bartholomée le 30 août dernier n’était, selon lui, pas valable, car il ne l’avait pas demandée, qu’il était toujours évêque dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople et que donc il restait encore le président de l’ « Union directrice des associations cultuelles russes en Europe occidentale » (nom de l’Archevêché devant ses statuts civils de droit français) et en conséquence pouvait présider la présente AGE.
En préambule, un point de contestation a été soulevé par rapport à l’application des statuts de l’Archevêché, dans la mesure où Mgr Jean propose alors d’approuver la désignation du bureau de l’assemblée avec l’archiprêtre Jean Gueit et Mme Elizabeth von Schlippe comme, respectivement, premier et deuxième vice-présidents. Quelques délégués font valoir que, d’après les statuts, les vice-présidents doivent être désignés par un vote de l’assemblée. Mgr Jean affirme que la décision de désigner ces deux vice-présidents a été prise à l’avance lors d’une réunion du Conseil diocésain. Plusieurs membres du Conseil diocésain prennent la parole pour déclarer que cela n’est pas exact. La candidature de l’archiprêtre Wladimir Yagello est proposée par des délégués pour le poste de premier vice-président. Mgr Jean fait voter à main levée, malgré les protestations d’une partie de l’assemblée qui demande de pouvoir départager les deux candidats par un vote à bulletins secrets. M. Nicolas Lopoukhine, secrétaire du Conseil diocésain, intervient pour dire que cela ne s’est jamais fait lors des précédentes assemblées. L’incident de procédure est clos et le bureau est composé comme proposé initialement.
Mgr Jean enchaine immédiatement avec un discours d’introduction dans laquelle il indique que l’assemblée de ce jour revêt un caractère « historique » car elle doit « décider de la vie ou de la mort », les membres de l’assemblée ont à choisir entre la survie de l’Archevêché ou sa disparition et, d’après lui, il n’y a qu’une seule solution pour permettre à l’Archevêché de continuer à vivre et de remplir sa mission, c’est se placer dans la juridiction du Patriarcat de Moscou, les différentes autres pistes qui ont pu être évoquées ces derniers mois ne sont pas réalisables et la récente décision du patriarche Bartholomée de lui donner une lettre de congé canonique et de nommer à sa place le métropolite Emmanuel comme locum tenens montre qu’il n’y a rien à attendre de Constantinople. Mgr Jean souligne que les membres de l’assemblée ont donc à faire leur choix, lui n’a pas demandé à être là ni à diriger l’Archevêché, c’est aux membres de l’assemblée de décider.
Après le discours de Mgr Jean, M. Nicolas Lopoukhine annonce les constatations de la commission des mandats (chargée de tenir la feuille de présence à l’assemblée) : 246 convocations ont été envoyées, 176 délégués sont présents (à 10h30), donc le quorum est atteint et l’assemblée peut statuer de manière valide, quelques délégués retardés dans les transports vont encore arriver plus tard, précise-t-il.
Plusieurs délégués posent alors une série de questions sur les modalités de préparation de l’AGE :
1) Mgr Jean a décidé que les paroisses dont le recteur lui avait demandé une lettre de congé ne devaient pas être convoquées à l’assemblée. Or, d’après les statuts de l’association, une paroisse est radiée lorsqu’elle en fait la demande formelle, la demande est reçue par le Conseil diocésain qui procède à la radiation après avoir convoqué les recteurs et le marguillier. Cette procédure n’a été appliquée pour aucune des paroisses concernées, elles auraient donc dû être convoquées.
2) Des paroisses qui se considèrent encore dans l’Archevêché n’ont pas reçu de convocation. C’est le cas de la paroisse de Düsseldorf (Allemagne). Il est donné lecture d’une lettre de son recteur l’archiprêtre Peter Sonntag, en date du jeudi 5 septembre, qui se plaint à l’Administration diocésaine de ne pas avoir reçu d’invitation. M. Nicolas Lopoukhine précise que l’Administration diocésaine avait reçu de fausses informations comme quoi le p. Sonntag avait quitté l’Archevêché, après sa lettre les choses ont été rectifiées et des convocations lui ont été envoyées, mais elles sont arrivées trop tard pour que la paroisse de Düsseldorf soit représentée.
3) Les délégués des paroisses du Royaume-Uni protestent car le texte émanant du Patriarcat de Moscou et sur lequel il va falloir se prononcer lors de cette AGE n’a été publié qu’à la mi-août, ce qui n’a pas laissé le temps de l’analyser dans les détails avec toute l’attention nécessaire. De plus, ce texte n’a pas été envoyé en anglais, ce qui a empêché les délégués des paroisses du Royaume-Uni d’en prendre vraiment connaissance. Mgr Jean répond qu’il ne faut pas tout attendre de l’Archevêché qui n’est pas là pour « mâcher le travail », il faut faire un effort dans les paroisses pour se débrouiller et traduire les textes.
4) La convocation à l’AGE indiquait qu’à l’ordre du jour était fixée une « discussion sur l’avenir de l’archevêché », mais maintenant on nous parle de procéder à un vote sur le document contenant les propositions du Patriarcat de Moscou en vue d’une intégration de l’Archevêché dans sa juridiction. La question est posée par certains à savoir s’il est légitime, voire même légal, de devoir voter pendant cette assemblée sur un texte précis, alors que cela ne figurait pas à l’ordre du jour sur la convocation ?
La parole est donnée ensuite à l’archiprêtre Jean Gueit qui rappelle brièvement le déroulement des événements survenus après l’annonce de la décision du patriarche Bartholomée, le 27 novembre 2018, de mettre fin à l’Exarchat, et tout le travail mené depuis pour sortir de la situation nouvelle ainsi créée. Il explique le déroulement de la journée et ce sur quoi il faudra se prononcer, à savoir les propositions résultant des négociations menées entre des représentants de l’Archevêché et les responsables du Patriarcat de Moscou. Il indique qu’est prévu ensuite un café, puis un retour pour une courte discussion et un vote après le déjeuner. Les participants demandent un temps de discussion plus long avant d’avoir à décider. Mgr Jean propose d’annuler la pause-café, ce qui est accepté.
Les règles d’interventions pour le débat sont présentées de la façon suivante : Tout le monde doit s’inscrire à l’avance, les intervenants sont appelés à tour de rôle, le temps de parole est de 5mn exactement. Pas de questions ni de discussions. Le modérateur désigné par Mgr Jean est M. le professeur Jean-Claude Polet.
Il y a eu beaucoup d’intervenants (autour de 25, peut-être même un peu plus). Les thèmes abordés étaient de quatre ordres :
- Beaucoup d’intervenants ont exposé les raisons pour lesquelles ils pensaient que la proposition contenue dans le document envoyé pour le Patriarcat de Moscou par le métropolite Antoine de Chersonèse, daté du 18 août 2019, n’était pas acceptable ou était prématurée.
- Quelques intervenants sont intervenus pour exprimer leur attachement à Mgr Jean et la confiance qu’ils avaient dans son choix et qu’il fallait lui obéir parce que c’était l’évêque.
- Certains ont estimé qu’il fallait continuer les négociations avec Moscou et améliorer encore le texte, mais aussi dans le même temps reprendre les contacts avec d’autres Eglises (Patriarcat de Constantinople, Patriarcat de Roumanie) qui n’ont pas définitivement fermé toutes perspectives à l’Archevêché. Une personne a demandé que dans le document du Patriarcat de Moscou une modification soit introduite dans le mode d’élection des évêques afin de nous donner une totale autonomie de choix, une autre a demandé à ce que soit demandé la restitution des églises que le Patriarcat de Moscou a pris à l’Archevêché ces vingt dernières années. Ces suggestions ont été rejetées, le texte ne peut pas être modifié, car il est le résultat d’un accord après négociation et il n’est pas concevable de revenir dessus.
- L’archiprêtre Jean Gueit a parlé en dernier pour répondre aux divers arguments exposés contre les propositions contenues dans le document du Patriarcat de Moscou (il a désigné ce document sous le terme de « charte », en russe « gramata », l’équivalent d’un « tomos » en grec, a-t-il dit), des critiques qui insistaient sur les risques que cette charte faisait prendre à la pérennité de l’archevêché, son indépendance et son mode de vie. Il explique qu’au contraire la « gramata » proposée par Moscou ne fait que consolider ce que l’Archevêché avait déjà dans le précédent « tomos » de Constantinople, et que même sur certains points (élection des évêques) ce document va plus loin et donc donne plus d’autonomie.
Vers 13h30 a lieu la pause déjeuner, pendant laquelle des échanges ont pu avoir lieu entre les délégués.
A 14h30 l’Assemblée a repris son travail avec la procédure de scrutin. Mgr Jean annonce que le vote va se dérouler de la façon suivante. Lors de la dernière réunion du Conseil diocésain, le 29 août 2019, les membres du Conseil ont voté sur trois points : 1) suivre les décisions de Constantinople ; 2) accepter le document du Patriarcat de Moscou ; 3 ) engager une réflexion sur les propositions récemment diffusées par l’archiprêtre Georges Aschkoff pour une refonte de l’Archevêché. Un bulletin de vote a été préparé avec ces trois propositions et il faudra en barrer deux de sorte à n’en retenir qu’une seule. Mais, précise encore Mgr Jean, depuis cette réunion du Conseil diocésain, des changements ont eu lieu : Constantinople a tenté un coup de force le 30 août et le père Ashkoff a retiré son texte de proposition. Dans ces conditions, il n’y a plus qu’un seul choix possible, celui de Moscou. Des délégués s’interrogent sur la légitimité de voter avec un tel bulletin de vote, plusieurs membres du Conseil diocésain prennent la parole pour dire que le dernier Conseil n’a absolument pas décidé de la forme qu’aurait le bulletin de vote à l’AGE. L’archiprêtre Jean Gueit intervient alors pour dire qu’un autre bulletin de vote a été également préparé et que celui-là ne contient que la seule question suivante (en trois langues : français, anglais, russe) : « Acceptez-vous l’acte de rattachement canonique de l’Archevêché au Patriarcat de Moscou tel qu’il est présenté dans le document publié ?  Oui  Non ».
Il demande si l’assemblée est d’accord avec cette formulation. Un vote à main levée a lieu et donne son approbation.
Après la procédure de vote, à bulletin secret, cette fois, sur la question telle que formulée ci-dessus, les résultats sont : votants = 186, bulletin blanc = 6, bulletin nul = 1, suffrages exprimés = 179, oui = 104 voix (58,1 %), non = 75 voix (41,9 %)
Les 2/3 des suffrages exprimés, nécessaires selon les statuts pour une prise de décision en Assemblée Générale Extraordinaire, ne sont donc pas atteints. Il est annoncé officiellement que la proposition est rejetée par l’assemblée.
A ce moment, Mgr Jean se lève et déclare que, de toute façon, puisque plus de 50 % des suffrages exprimés ont voté « Oui », il va dès ce soir demander son rattachement et celui de l’Archevêché au Patriarcat de Moscou et que les paroisses qui le désirent n’ont qu’à le suivre. Il ajoute que, dès demain, il commémorera le patriarche Cyrille de Moscou et réunira une nouvelle AGE pour modifier les statuts de l’Archevêché afin d’y introduire le rattachement à la juridiction de Moscou. En effet, précise-t-il, comme il a reçu du patriarche Bartholomée une lettre de congé, il est aujourd’hui dans un vide canonique et il ne peut pas rester en dehors d’une Eglise canonique, il doit donc immédiatement rejoindre un Patriarcat.
Une discussion d’ordre juridique s’engage, avec des interventions allant dans des sens souvent résolument opposés. Des intervenants expliquent que Mgr Jean ne peut juridiquement pas aller contre la décision de l’assemblée qui est souveraine et qui a respecté les statuts, d’autres s’étonnent que la position de Mgr Jean a changé entre le matin, où il disait que la lettre de congé de Constantinople n’avait aucune valeur puisqu’il ne l’avait pas demandée et qu’il était toujours dans l’obédience de Constantinople, et maintenant, où il dit qu’avec cette lettre il peut quitter la juridiction de Constantinople pour rejoindre celle de Moscou.
D’autres intervenants soutiennent Mgr Jean dans sa démarche, considérant qu’en sa qualité d’évêque diocésain, il a le droit de décider et que le clergé et les paroisses doivent le suivre. D’autres indiquent que Mgr Jean est, d’après les statuts, en droit de convoquer une nouvelle AGE dans les trois mois et qu’alors il faut une majorité des 4/5° pour rejeter la proposition formulée par l’archevêque, dans le cas contraire elle est adoptée. Un participant au débat intervient pour souligner que l’article 1 des statuts civils de l’Union directrice des associations cultuelles indique clairement que l’Union directrice est régie par les normes ecclésiologiques et canoniques de l’Eglise orthodoxe et que ces dernières reposent sur la structure hiérarchique de l’Eglise et sur l’autorité épiscopale dans l’Eglise.
Au bout d’un certain temps, Mgr Jean se lève pour interrompre ces discussions et annoncer que, dans ces conditions, il prend sa retraite. Il retourne ensuite s’asseoir. Les interventions se poursuivent quant aux suites à donner après le vote de l’AGE, d’une part, et, d’autre, sur ce qu’il est licite ou non de faire en fonction des statuts et de la validité ou non des récentes décisions du Patriarcat de Constantinople.
Mgr Jean revient alors à la tribune et annonce qu’étant donné l’heure tardive l’assemblée doit se terminer, car un office des Dominicains doit bientôt commencer dans l’église. Il déclare que pour que les clercs puissent célébrer la liturgie du lendemain, dimanche, il décide de surseoir toute décision pour l’instant et qu’il va commémorer le patriarche Bartholomée à la liturgie dimanche, mais que dès lundi il prendra conseil auprès de ses proches et décidera de la suite à donner. L’assemblée est levée à 18 h.
Les délégués de la Paroisse, clercs et laïcs

Réflexion d'Irène Mojaïsky

Je voudrais partager avec vous un texte que j'avais préparé pour l'Assemblée Générale de samedi. Ce n'est finalement pas ce lui que j'ai lu. Je vous le confie donc ce soir:
Quand on parle de l’archevêché, de quoi parle-ton ? Quand on parle de la survie de l’archevêché de quoi parle-t-on ? de la survie de quoi ? D’un groupe de paroisses orthodoxes se réclamant de tradition russe, tourné vers son passé, perdu dans un occident déchristianisé ? Si c’est le cas, rejoignons le patriarcat de Moscou et fondons-nous dans notre église mère, nous pourrons vivre dans notre tradition sans plus avoir à nous poser la moindre question. Eglise mère, je crois que c‘est le terme utilisé, car c’est de Russie que sont venus ceux qui ont créé notre archevêché. C’est amusant, vue de cette façon, Constantinople est l’église mère de l’église russe et Antioche, comme premier lieu où les chrétiens ont pris ce nom, la mère de toutes les églises. Pour aller plus loin, Jérusalem notre ancêtre commun à tous.
Ou bien ce qui nous unit, c’est une certaine vision de l’ecclésiologie orthodoxe ? Vision qui, semble-t-il, dérange les grands patriarcats. Une vision d’une orthodoxie centrée sur l’Eucharistie, où nous cherchons l’Unique Essentiel, où chacun est responsable de son Eglise. Où le premier doit être le dernier, où plus les clercs montent dans ce qu’on appelle la hiérarchie plus ils sont au service du reste de l’Eglise. Comme le disait Mgr Antoine Bloom, la pyramide de la hiérarchie est inversée. Dans notre vision, le clergé mène son troupeau en connaissant chacun de ses ouailles et en le guidant par amour sur la voie du Seigneur. L’autoritarisme, les intérêts financiers et politiques n’y ont pas leur place. Si c’est cette vision qui nous unit, l’origine de nos prédécesseurs n’a plus aucune importance. L’important c’est le message qu’ils nous ont laissé et que nous voulons transmettre à nos enfants. Ce qui compte c’est qui nous sommes aujourd’hui, où nous vivons aujourd’hui et où nous voulons aller.
Si l’histoire de l’archevêché doit se terminer, c’est qu’aujourd’hui nous sommes désunis sur ce que nous sommes. Nous ne nous comprenons plus lorsque nous parlons entre nous. Alors, que chacun suive ses convictions. Mais cette vision de l’ecclésiologie, elle, doit survivre d’une façon ou d’une autre. L’histoire ne nous pardonnera pas d’avoir laissé s’éteindre cette lumière.
Lors de la consécration de l’église Saint Serge Mgr Euloge s’était exprimé ainsi : « Comme nous voudrions que se forme ici un foyer lumineux de l’Orthodoxie et qu’en ce lieu affluent tous ceux qui se sentent épuisés, à bout de force, comme accouraient jadis au monastère Saint-Serge ceux qui ployaient sous le joug tatar, pour y trouver une consolation et y puiser des forces spirituelles nouvelles ! Puisse cette église devenir un lieu de rapprochement et de rencontres fraternelles de tous les chrétiens ! De nos mains d’hommes nous avons construit un temple humble et pauvre. Mais des fondements solides ont été posés. Sur ces fondations, construisons un temple spirituel qui ne devra rien aux mains de l’homme et dont le but sera d’imprimer l’image de la sainte Orthodoxie dans les cœurs des étudiants et de tous ceux qui viendront prier ici. Que notre saint protecteur, saint Serge, entende et exauce nos prières ! ».

Quelques impressions sur le déroulement de l’assemblée générale extraordinaire



Ce qui me trotte dans la tête depuis samedi dernier, c’est de me dire : « Quel gâchis ! » Et la faute n’incombe pas à une seule personne, même pas à un groupe de personnes, mais à des clans qui ont voulu se tirer dessus en nous passant sur le corps. Le patriarcat œcuménique voulait mettre de l’ordre, et voilà un chaos (nous avons même d’anciennes paroisses, en Scandinavie, qui commémorent désormais un évêque basé en Amérique !). Le patriarcat de Moscou, comme il en a l’habitude depuis le début du siècle dernier, cherche à grapiller tout ce qu’il peut pour augmenter la gloire tout humaine du « Monde Russe ». Les tendances diverses qui existaient depuis toujours dans l’archevêché, comme dans toute communauté, s’entretuent au lieu de se liguer pour maintenir la cohésion de l’ensemble. Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre ! Et tous se retirent, du plus âgé au plus jeune…

À la sortie de l’assemblée générale extraordinaire de l’archevêché, on reste doublement choqué : d’abord par les méthodes employées par les organisateurs, puis par le niveau de conscience ecclésiale que les débats ont révélé.

Bien entendu, tout le monde connaît et admet les dysfonctionnements inquiétants de l’Église de Russie. L’archevêque Jean lui-même n’est pas avare en critiques sur l’autoritarisme de cette Église, même si, désormais, il emploie volontiers lui-même ce type de méthodes d’administration pastorale. Contourner les statuts, museler les avis contraires au sien sont devenus des pratiques courantes pour lui. L’actuel archevêque a dépassé son prédécesseur dans la répression de son clergé, et cela n'a pas attendu les derniers mois.

En pratique, à l’assemblée, cela s’est traduit par des discours tendancieux, des contre-vérités assénées de manière péremptoire, des invectives à l’égard des personnes. Peut-être dans l’Église ce genre de comportements sont-ils devenus courants, mais dans la société occidentale sécularisée, on respecte bien davantage les individus.

L’impression que laisse cette assemblée générale extraordinaire est surtout celle d’un affligeant manque de conscience ecclésiologique d’une portion importante de nos prêtres : pour eux, trouver un chemin canonique consiste à se couper de la communion avec le patriarcat où ils se trouvent alors qu’ils n’ont pas de reproches doctrinaux à lui faire (seraient-ils seulement capables d’articuler théologiquement des reproches ?). Pour la canonicité, on a vu mieux ! Quant à créer une troisième structure épiscopale du patriarcat de Moscou superposée aux deux existantes (le diocèse de Chersonèse et le diocèse de l’Église russe hors-frontières), cela ne gêne pas leur sens canonique…
L’expression que l’archevêque Jean et le père Jean Gueit répètent régulièrement est : « Il faut sauver l’archevêché ! » Comme si l’Église avait besoin d’être sauvée ! Quand on leur dit qu’on est dans l’Église pour être sauvé et non pour sauver l’Église, ils ne vous comprennent même pas. Sauver les formes, pour eux, c’est plus important que préserver le sens.

Il faut rappeler que, derrière le mot « Archevêché », on peut voir, au moins, trois différentes notions :
1°/ La structure canonique qui, depuis 90 ans, dépend du patriarcat œcuménique
Avec ce patriarcat, des dialogues ont eu lieu au printemps et en été 2019 et s’avéraient prometteurs, mais la rencontre de l’archevêque Jean seul avec le patriarche Bartholomée, en août 2019, a réduit considérablement les possibilités de conciliation. Les propositions d’ouverture qu’a faite le patriarche et que l’archevêque Jean a relayées au conseil de l’archevêché ont été jugées par les partisans du passage au patriarcat de Moscou comme des paroles en l’air.
En revanche, les promesses du jeune Métropolite Antoine Sevriuk de Chersonèse sont obligatoirement dignes de foi. Car on nous dit que, à son âge, il n’est plus représentatif du clergé formé à l’époque soviétique, donc il ne pratique pas le double langage.

2°/ La structure juridique de droit français
Parmi les trois significations du terme « Archevêché », c’est la structure juridique qui a tenu une assemblée générale extraordinaire le samedi 7 septembre. Mais sans contenu pastoral, cette structure est une coquille vide. On peut en créer et en abolir autant qu’on veut. Cependant, c’est cette structure qui est propriétaire de certains biens immobiliers symboliques, dont la Colline Saint-Serge. Et c’est probablement pour cela que le patriarcat de Moscou s’acharne à obtenir le contrôle de cette structure juridique. Si c’est l’entité pastorale qui les intéressait, ils en ont déjà deux en Europe occidentale ; pourquoi ne pas y accueillir l’archevêque Jean et les paroisses qui veulent le suivre ? La réponse est claire : parce que ce ne sont pas les paroisses et les fidèles qui les intéressent le plus !

3°/ La troisième signification qu’on peut voir au terme « Archevêché » est le fruit de la rencontre entre la première émigration d’exilés et la culture occidentale, fruit produit spirituellement par les fidèles et leurs humbles pasteurs, sans collusion avec les pouvoirs d’État, et fruit produit intellectuellement par l’École théologique de Paris (surtout au sein de l’Institut de théologie Saint-Serge et de l’Action Chrétienne des Étudiants Russes).

Duquel des trois « archevêchés » l’archevêque Jean est-il encore le chef aujourd’hui ? À la sortir de l’assemblée générale, je crois que chaque participant, à commencer par l’archevêque Jean lui-même, aurait hésité avant de répondre.

Sur le plan pratique, la direction de l’archevêché a fait venir les délégués des quatre coins de l’Europe simplement pour « discuter de l’avenir de l’Archevêché ». Toute décision aurait été illégitime ce jour-là ; mais voilà que, même en forçant l’assemblée à se prononcer sur un document flou et arrivé tardivement, les pressions n’ont pas suffi à obtenir la majorité qualifiée des votes.

Dans n’importe quelle institution honorable, les personnes qui auraient manipulé le chef pour mener à un tel fiasco auraient présenté leur démission immédiate, mais ce n’est pas ce que font les responsables de ce désastre. Ils continuent leurs manigances à l’heure où nous parlons.

En fait, le véritable drame est que nous avons constaté un chef qui ne parvient pas à prendre de la hauteur, mais qui s’enfonce dans un bourbier, entraîné par des conseillers vaniteux, et cherche à y attirer autant de personnes que possibles.

Il faut savoir que c’est contre l’avis de 8 des 12 membres du conseil de l’archevêché que l’archevêque Jean a décidé, début juillet, de convoquer une assemblée extraordinaire, alors même qu’il n’avait aucun document à produire dans la convocation à l’assemblée. Parmi les membres du conseil, plusieurs lui disaient avec force que, s’il organisait une assemblée dans l’état actuel des discussions, cela mettrait l’archevêché dans un état de grande division.

Nous sommes attristés d’avoir eu raison : 58,1% contre 41,9%. Voilà l’archevêché devenu comme la Belgique : coupée en deux parties incapables de se séparer réellement. Car, en effet, j’ai entendu de nombreux participants dire en sortant qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils avaient en commun avec l’autre « camp ». Cette assemblée a amplifié la division qui existait depuis longtemps. Était-ce nécessaire de la manifester si fort ? Nul ne peut le dire. En tout cas, tous peuvent se prévaloir d’être « l’archevêché », pour ce qui est de l’héritage spirituel, mais la structure juridique, quant à elle, ne risque plus d’être contrôlée par le patriarcat de Moscou. Des moyens légaux sont disponibles pour éviter cela désormais.

Pour sa part, le patriarcat œcuménique de Constantinople se tait, pour l’instant. L’archevêque Jean a adressé une mise en demeure au métropolite Emmanuel de France, par voie d’avocat, et le métropolite n’a pas encore réagi. Il faut dire que la seule réaction pastorale qui pourrait mettre en échec la conquête, par le patriarcat de Moscou, de ce qui a été le joyau de l’Orthodoxie européenne consisterait à montrer de l’audace créative : l’Église de Constantinople, pour sortir grandie de ce conflit, devrait oser créer quelque chose de nouveau, au moins une structure pour toute l’Europe occidentale, avec un synode local constituée de tous ses métropolites, comme aux États-Unis, et un vicariat non seulement pour la France, mais pour tous les territoires où l’ancien exarchat avait des paroisses (de la même manière que les communautés arabophones de l’archevêché grec d’Amérique sont réunies territorialement sur tout le territoire des États-Unis, mais sous la supervision uniquement de l’archevêque grec qui siège à New York).

Quant à ce que l’Histoire retiendra de tout cela…

C. D'Aloisio


Réflexion de James Chater

As an English person living in France, I am greatly concerned by two topics that have a lot in common: Brexit, and what is happening in the Orthodox Church, especially the Rue Daru Archdiocese. It is worth reflecting on these parallels. On the one hand, Brexit is part of a wave of retrenchment in the direction of isolationism and nationalism, obtained by the exploitation of grievances, a sort black hole of negativity. The Orthodox Church is also, in the person of the Ecumenical Patriarch (of Constantinople) trying to do away with an archdiocese based in Paris which is unique in straddling several West European countries and bringing together believers from several nations. It is a sort of ecclesiastical equivalent to the EU. While right-wing demagogues and populists from countries such as America, the UK and Poland try to pick away at the EU and seek to undermine it and replace it with something alarmingly archaic and anti-liberal, so also the nationalists and the "strong men" of the Orthodox Church see the existence of the Archdiocese of Russian Churches in Western Europe as an embarrassment, an affront, because the archdiocese is almost unique in allowing laypeople a say in the way it is run, which runs counter to their authoritarian and paternalist ways. For these people, the only true faithful are the docile sheep who do as they are told. 
The unifying force between Brexit and Orthodox retrenchment is, of course Russia: on the one hand the Russian state in the person of Putin who has been trying to engineer Brexit behind the scenes, and its close ally the Moscow Patriarchate which espouses old-fashioned values and has made no secret of its scorn for the liberal West. And many Orthodox, including some I know, have fallen for the Brexit lies, thinking that if we go back to the good old days everything will be all right. But these people will soon find out that if you try to drive a vehicle by looking in the rear mirror the whole time, you will crash.

James Chater


LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DE L’ARCHEVÊCHÉ

LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DE L’ARCHEVÊCHÉ

Nous nous trouvons à la croisée des chemins. C’est maintenant que nous devons nous poser clairement la question : quelle est notre identité ? Quelle est notre spécificité ? Que souhaitons-nous ? Est-il important que nous continuions à exister en tant qu’archevêché, et si oui, pourquoi ?

« De tradition russe » ou « Églises russes »

Il y a des voix qui insistent sur le caractère russe de l’Archevêché. Le Patriarcat de Constantinople nous donne implicitement et, depuis quelque temps, explicitement ce statut. Pour Constantinople, notre existence semble avoir été reconnue comme légitime uniquement à cause de notre tradition russe, puisque rien d’autre n’est dit dans le texte du 27 novembre sur la raison d’être de l’Exarchat. Pour ceux d’entre nous qui sont des descendants de ceux qui ont fondé l’Archevêché en fuyant la dictature bolchevique, cette raison d’être nationale ou culturelle est encore importante, et cela est tout à fait légitime. Même pour ceux qui ne sont pas russes d’origine, elle peut manifester un choix ou une préférence culturelle, surtout quand nous pensons à la distillation de l’héritage russe par les grands théologiens et fondateurs de l’Archevêché.

Mais cette raison d’être devrait-elle être la seule? Les considérations nationales ou même culturelles devraient-elles prendre la première place? Si oui, alors nous ne sommes ni plus ni moins que n’importe quelle autre Église nationale, ou que leurs représentantes en Occident.
Et si non, qui sommes-nous et qui voulons-nous devenir? C’est à cette question qu’il faut essayer de répondre de la manière la plus claire possible en ce moment de vérité.

Conciliarité et indépendance politique

Même si l’Archevêché est issu de l’émigration russe et s’il garde des spécificités liturgiques et culturelles russes, il a depuis longtemps acquis d’autres spécificités ; d’autres fleurs ont poussé dans ce terreau initial fertile.

En premier lieu, même au point de départ, l’Archevêché n’a pas eu comme but de simplement garder la tradition et la culture russes, comme elles avaient été vécues en Russie, mais bien aussi d’appliquer les idées du Concile de Moscou de 1917-1918, qui se proposait d’adapter l’Orthodoxie aux conditions de vie de notre époque (notamment l’organisation plus ‘démocratique’), d’un côté, et qui correspondaient de plus près au christianisme des premiers siècles, d’un autre. Le Concile de Moscou proposait une organisation moins centralisée et donnant plus de place aux laïcs dans l’organisation de l’Église.

Ensuite, depuis le début, l’émigration russe a transformé sa précarité matérielle, liée à un exil non choisi, en avantage, dans un esprit qui correspond à celui de l’Évangile : une Église pauvre, mais libre de toute dépendance par rapport à un État, soit-il totalitaire ou démocratique ; des prêtres qui doivent aussi travailler en dehors de leur paroisse pour nourrir leur famille, donc des prêtres qui ne dépendent pas de l’éventuel arbitraire des autorités religieuses, ayant ainsi une parole plus franche et plus libre ; des prêtres qui savent partager les tâches avec leurs paroissiens. Une  Église qui ne doit pas sans cesse se référer aux autorités de l’État qui finance mais aussi contrôle de près ses activités et jusqu’à sa parole.
Elle a su par ailleurs utiliser les lois de l’État démocratique pour consolider sa situation en France et en Europe, se donnant des statuts qui la protègent contre les abus internes et externes. Un très heureux équilibre qui lui a conféré une indépendance nouvelle, rare dans le monde orthodoxe contemporain.

Les paroisses fonctionnent aussi de manière conciliaire, elles sont organisées de manière transparente. Les laïcs participent activement et prennent part aux décisions  administratives et financières. L’évêque est secondé par un conseil formé de clercs et de laïcs, une assemblée clérico-laïque participe aux décisions sur les questions les plus importantes de la vie de l’Archevêché.

Un approfondissement théologique, un retour à la tradition vivante

Le kairos, moment propice de l’émigration russe du début du 20e siècle a été aussi celui des redécouvertes théologiques . De nouveau, il ne s’agit pas ici de se vanter ou de se parer aujourd’hui avec ce que d’autres ont été avant nous, mais de faire notre possible pour marcher dans leur traces, et faire en sorte que leur travail puisse être continué. C’est de l’émigration russe que sont sortis certains des plus grands théologiens orthodoxes du 20e siècle, et la plupart étaient des fidèles de  l’Archevêché.
Par la force missionnaire de ses fondateurs, par le rayonnement de l’Institut Saint-Serge issu de ses rangs, et ses contacts fructueux avec les autres chrétiens, la foi orthodoxe a pu être approfondie, des générations de théologiens, clercs ou laïcs désireux d’apprendre et de réfléchir et ouverts au dialogue avec le monde, ont été formées.

Le caractère multi-ethnique, l’usage des langues locales et le dialogue avec l’Occident

Plus tard, à partir surtout de la Seconde Guerre mondiale, de plus en plus de paroisses en   langue locale se sont formées ; un enracinement dans les pays où les orthodoxes résident passe par l’usage des langues vivantes locales.

Maintenant, l’Archevêché comprend beaucoup de paroisses célébrant en français, anglais, suédois, allemand. De même, il comprend des fidèles d’une multitude d’origines, issus des pays où l’archevêché se trouve ou encore originaires d’autres juridictions orthodoxes. C’est, de nouveau, aussi une faiblesse qui se transforme en force : car si l’uniformité nationale est un facteur d’unité, elle peut aussi isoler une Église et l’appauvrir. Cette diversité culturelle autour d’une même foi est très rare dans le monde orthodoxe moderne. Elle est pourtant plus conforme à la foi chrétienne, qui doit unir les hommes au-delà des considérations nationales.

On trouve au sein de l’Archevêché, aussi par le concours des organisations qui sont intimement liées avec lui, comme la Fraternité orthodoxe et l’ACER, plus d’ouverture à l’Occident, plus d’esprit de dialogue tout en gardant la richesse spirituelle de la Tradition de  l’Église orthodoxe.

Les autres et nous

Si d’autres diocèses orthodoxes en Occident se sont maintenus et formés depuis, ils dépendent juridiquement mais aussi, dans une très large mesure, culturellement du pays d’origine. En revanche, l’Archevêché a suivi son propre chemin. Pourquoi ce qui a été possible pour l’émigration russe n’a-t-il pas donné les mêmes fruits pour les autres, ou pas encore ? Les raisons en sont multiples, nous ne nous arrogeons aucun mérite. Le « moment propice » a été tel qu’il a été donné à cette émigration russe qui fuyait le communisme, plus qu’à d’autres, de faire germer ce plant en Occident et de le faire croître.

Sans une émigration continue, la plupart de diocèses plus nationaux ne subsisteraient pas. Et tôt ou tard, ils seront aussi mis devant le choix entre une orthodoxie nationale et une orthodoxie implantée en Occident. Certains le comprennent déjà et font des efforts dans cette direction.

Dans l’Archevêché, on peut en revanche constater une continuité, d’un côté, avec la tradition orthodoxe russe des origines, et d’un autre, une adaptation constante à l’Occident, et c’est aussi cela qui le rend si précieux.

Ferment d’une Église locale en Occident

Il n’y a pas, dans d’autres diocèses, autant de diversité culturelle et nationale. Non seulement il y a-t-il, dans l’Archevêché, plus de paroisses en langue locale qu’ailleurs, mais la composition des paroisses est souvent multinationale. Nous sommes, de ce fait, actuellement, la seule juridiction présente en Europe Occidentale qui pourrait constituer la base, à l’avenir, d’une vraie orthodoxie locale, enracinée ici.
On nous a accusés parfois d’arrogance quand nous l’avons affirmé: c’est pourtant un fait, qui peut être vérifié par des statistiques. Nous ne prétendons pas être meilleurs que les autres, nous prétendons simplement être une orthodoxie qui mérite le plus le titre d’  « occidentale », donc plus enracinée, plus adaptée aux réalités d’ici et maintenant, tout en restant profondément attachée à la tradition orthodoxe. En continuant cette mission, nous aiderions nos frères orthodoxes des autres diocèses, également, dans leur intégration. Chacun y apporterait une richesse supplémentaire, par la suite.

Notre motivation ne devrait pas être de nous opposer - par orgueil ou par une sorte de déni du réel - à la tendance actuelle dans l’Église orthodoxe de donner la priorité aux critères  ethniques et, du point de vue de l’organisation, au cléricalisme. Il s’agit plutôt de rappeler, par notre existence, même difficile et précaire, et avec tous nos défauts et manquements, la possibilité qu’autre chose puisse prendre forme; que l’Église est plus que nation et plus que structure de pouvoir. Qu’elle ne nous isole pas du monde dans lequel nous vivons, mais qu’elle nous y envoie en mission ; que le Royaume de Dieu n’est pas un ghetto, il est au milieu de nous, ici et maintenant. Nous avons reçu cette mission, nous l’avons continuée, à la mesure, parfois très faible, de nos forces, jusque maintenant. Allons-nous y renoncer au moment où ce défi est plus important que jamais ?

Pour rester ce que nous sommes, et ce qui est plus, pour évoluer vers encore plus de liberté, de créativité, de double enracinement dans l’Orthodoxie et en Occident, et pour pouvoir constituer un noyau pour une future Église locale en Europe Occidentale, nous devrions bien réfléchir à notre choix :

Qu’est-ce qui est plus important pour nous ? Voulons-nous que nos enfants et petits  enfants puissent être orthodoxes, tout en étant français, belges, anglais..., voulons-nous être un ghetto, ou voulons-nous pouvoir transmettre la beauté et la vérité de l’orthodoxie à la culture environnante , dans un langage qui lui est compréhensible?

C’est la question que nous devons nous poser et c’est en conséquence de notre réponse que nous devons décider de notre avenir.

Alexandra de Moffarts,
Déléguée à l’AGE – paroisse de Bruxelles,
Enseignante à l’Institut Saint-Jean-le-Théologien, Bruxelles

Victor ALEXANDROV, L’Archevêché à la croisée des chemins

L’Archevêché à la croisée des chemins
9 janvier 2019 Victor Alexandrov traduction du russe
Pendant que l’attention de l’opinion des milieux ecclésiastiques (et séculiers) se focalisait sur l’autocéphalie de l’Ukraine, le patriarcat œcuménique a jugé bon de faire apparaître un nouveau point chaud sur la carte du monde orthodoxe : il s’agit de l’Archevêché des paroisses russes en Europe Occidentale, plus connu en Russie sous le nom d’Exarchat Russe, par ailleurs aussi fréquemment désigné « Rue Daru », par le nom de la rue sur laquelle se trouve la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski à Paris. Le 27 novembre 2018, le synode de Constantinople a annoncé sa décision de retirer à l’Archevêché le statut ecclésiastique (Tomos) qu’il lui avait accordé en 1999,  et qui lui garantissait une certaine autonomie ainsi que le respect de son statut juridique propre.
Du point de vue des chiffres, l’Archevêché est une petite Église qui comprend une centaine de paroisses, 2 monastères et 7 ermitages dans plusieurs pays européens, dont 58 paroisses en France. Cependant cette Église a joué un rôle important dans l’histoire de l’orthodoxie au 20e siècle ainsi qu’au début du 21e siècle. C’est pourquoi son avenir reste un sujet d’intérêt et un enjeu symbolique important pour les orthodoxes par-delà les limites de l’Archevêché, qui ne peuvent rester indifférents à son sort.
L’Archevêché a été fondé suite à l’exil de centaines de milliers d’émigrés qui quittaient l’ex-empire russe pour fuir la dictature bolchevique. Tout au long de son histoire, l’Archevêché, bon an mal an, s’est efforcé de rester fidèle, dans son mode d’organisation, aux décisions du Concile de Moscou de 1917-1918, ce qui, bien entendu, était impossible aux orthodoxes de Russie.
Ainsi, l’Archevêché élit son archevêque dirigeant, dispose d’un conseil diocésain composé de clercs et de laïcs et dont l’avis n’est pas uniquement consultatif, organise des assemblées générales clérico-laïques ; quant à ses paroisses, elles comportent, elles aussi, des conseils paroissiaux clérico-laïques et disposent d’une forte autonomie vis-à-vis de l’Archevêché. Ces éléments de gouvernance participative et élective font de l’Archevêché une structure ecclésiale qui se distingue assez fortement des pratiques couramment en vigueur dans l’orthodoxie contemporaine. Ce mode de fonctionnement n’est comparable qu’à celui de l’Église Orthodoxe en Amérique, qui se trouve être le fruit d’un même processus historique et dont le mode de fonctionnement est, lui aussi, inspiré des décisions du Concile de Moscou de 1917-1918 ainsi que par la pensée théologique de l’ « École de Paris » qui a vu le jour, précisément, dans l’Archevêché.
On comprend, dès lors, que ce sont justement ces deux Églises qui agacent les tenants d’une orthodoxie « traditionnelle », celle-ci cherchant, avant tout, à garder le contrôle sur ses diasporas ethniques d’Europe et d’Amérique et répétant à l’envi qu’« il ne faut pas confondre Église et démocratie ».
Bien que l’Archevêché soit, par ses origines, lié à la Russie pré-révolutionnaire (mais non pas avec l’Église Russe d’aujourd’hui), ses fidèles, de nos jours, sont des Européens qui relèvent de plusieurs dizaines de nationalités différentes.
La dénomination officielle de cette Église, « Archevêché des Églises russes en Europe Occidentale » relève de l’histoire et ne reflète plus la composition ethnique de cette entité, même si l’élément russe y reste important, si la tradition liturgique russe y est majoritaire et si elle tire très clairement ses origines de l’Église Russe d’avant la révolution.
L’Archevêché est la seule juridiction où avec plus ou moins de vigueur selon les moments, se développe  l’idée de créer une Église orthodoxe locale multinationale et territoriale en Europe occidentale, c’est aussi la seule juridiction qui puisse, pour le moment, prétendre en devenir l’embryon. C’est bien la raison de l’agacement qu’elle suscite chez certaines Églises orthodoxes traditionnelles, c’est-à-dire les Églises locales Ethniques.

Pendant les 15-20 dernières années, l’Archevêché a subi de constantes pressions. Ces pressions sont, d’une part, le fait du patriarcat de Moscou et de l’autre du patriarcat de Constantinople.  Ainsi, le patriarcat de Moscou a tenté de créer sa propre métropole d’Europe Occidentale en procédant à l’unification des diverses juridictions « russes » en présence, avant de partir, par l’intermédiaire de la Fédération de Russie, à la conquête des bâtiments de l’Archevêché. Par ailleurs, cela fait au moins une dizaine d’années que l’on peut observer la manière dont patriarcat de Constantinople essaie d’étouffer l’Archevêché : à deux reprises, le synode du patriarcat de Constantinople a refusé de procéder à l’ordination d’un évêque auxiliaire pour l’archevêché, et en 2013, le patriarcat ayant fait ingérence dans l’élection archiépiscopale, l’archimandrite Job (Getcha) a  été élu archevêque au terme de manipulations proprement byzantines ; le souvenir de cet épisode est encore vivace dans l’Archevêché. La période brève (2013-2015), mais houleuse pendant laquelle l’archevêque Job est resté à la tête de l’Archevêché, et qui a vu naître de nombreux conflits entre l’archevêque et les fidèles, semblait avoir été un mauvais rêve : il apparaît aujourd’hui que ce mauvais rêve n’était pas le dernier.
Une décision du synode de Constantinople
Les observateurs tentent de comprendre le choix de la date de cette tentative de liquidation de l’Archevêché. On note que c’est sur un intervalle de deux mois que le Patriarcat de Constantinople a pris sa décision de procéder à des actions décisives en Ukraine d’une part, et celle de procéder à la dissolution de l’Exarchat Russe d’autre part. Il ne semble pas y avoir de lien de causalité entre les deux événements. Ce qui les lie, plus vraisemblablement, est leur origine commune, à savoir les ambitions de Constantinople : soit le patriarche Bartholomée, qui va avoir 79 ans, a décidé qu’il ne pouvait plus se permettre de repousser davantage la réalisation des projets qu’il mûrit de longue date, soit il a été poussé à l’action par des faucons de son entourage, soit il s’agit d’un mélange des deux.
Dans son communiqué adressé à l’archevêque Jean (Renneteau), qui se trouve à la tête de l’Archevêché, le synode de Constantinople, en guise d’explication à sa décision, se contente d’indiquer que les conditions historiques ont beaucoup changé depuis la création de l’Archevêché, il y a presque un siècle, et que le Synode de Constantinople a donc pris cette décision pour renforcer davantage les liens des paroisses de tradition russe avec « l’Église-Mère » de Constantinople. Les paroisses de l’Archevêché sont donc, d’après le communiqué, censées se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople du pays où elles se trouvent.
Pour une personne qui ne connaît pas bien l’Archevêché ou le patriarcat de Constantinople, cette justification peut sembler assez raisonnable, mais au sein de l’Archevêché peu nombreux sont ceux qui la considèrent comme satisfaisante ou convaincante. Les observateurs, au sein de l’Archevêché, ont tout de suite remarqué que le communiqué du synode avait été écrit directement en français, alors que les lettres officielles envoyées par le synode siégeant à Constantinople sont en général toujours écrites en grec. Il apparaît que l’original de la lettre provient de Paris, et ses expéditeurs n’ont même pas  jugé nécessaire de faire planer le doute sur sa provenance. Dans l’Archevêché,  le nom du patriarche Bartholomée n’est pas le seul à être cité comme étant à l’origine de cette décision (même si sans sa participation, aucune décision de dissolution de l’Archevêché n’aurait été possible), on cite aussi le nom d’Emmanuel (Adamakis), métropolite de France, dont l’influence n’a cessé de croître, ces dernières années, au sein du synode de Constantinople. Dans l’Archevêché, le métropolite Emmanuel a laissé un souvenir cuisant de la manière dont il a organisé les élections archiépiscopales de 2013. C’est lui qui, en sa qualité de locum tenens désigné par le patriarche Bartholomée, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour permettre à l’archimandrite Job (Getcha), son protégé d’alors, de remporter ces élections. Au cas où les 58 paroisses de l’Archevêché en France passeraient sous son omophore, le métropolite Emmanuel de France serait aussi le premier bénéficiaire de la décision du synode de Constantinople.
Je pense cependant que la motivation principale d’Emmanuel et de Bartholomée n’est pas, en premier lieu, leur désir de transférer les paroisses de l’Archevêché sous l’omophore des métropolites du patriarcat de Constantinople. Le passage de ces paroisses dans les métropoles de Constantinople, s’il devait se produire, serait au plus considéré comme un agréable avantage collatéral. Il est certes vrai que certains métropolites ont déjà commencé à exercer des pressions sur différentes paroisses de l’Archevêché dans divers pays, et on entend déjà, de-ci de-là, la traditionnelle mélodie byzantine de la « non-canonicité » du statut de l’Archevêché et de la « non-canonicité » du refus de ce dernier de se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople. Mais les auteurs de la décision du synode savent bien que les chances sont maigres de voir les paroisses de l’Archevêché se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople.
La motivation principale des hiérarques de Constantinople était sans doute le plaisir de détruire une Église dont Constantinople n’a pas besoin, dont les statuts les dérangent, dont le fonctionnement ne correspond pas à leurs normes. Cette tentative de destruction correspond aux intentions déjà anciennes de la deuxième Rome de renforcer ses positions dans l’orthodoxie mondiale et avant tout dans ce que l’on appelle « la diaspora ».
Trois jours après la décision de dissolution prise par le synode de Constantinople, le Conseil de l’Archevêché a rédigé une réponse remarquable. Le sens en était qu’aucun synode ou assemblée ne peut être considéré comme un organe supérieur aux diocèses (selon  la tradition de l’Église, les diocèses qui constituent des Églises locales) qui pourrait leur imposer sa volonté arbitraire : aucun synode ne peut décider de procéder à la liquidation d’un diocèse existant sans consulter le diocèse ainsi que son évêque. L’Archevêché est regroupé autour de son évêque, et l’évêque lui permet de rester Église, et selon ses statuts, l’Archevêché décidera de son propre sort  lors de son Assemblée Générale diocésaine.

Les différentes options.
D’après les échos qui parviennent de l’Archevêché, personne n’envisage la solution d’une dissolution et d’une fusion dans les diocèses « grecs ». Et ce n’est pas seulement pour des raisons ethniques, même si ce facteur a aussi son importance. Plus important – notamment pour le clergé - est le fait que l’Archevêché a toujours constitué un îlot de liberté, où les relations entre l’Archevêque et le clergé ainsi qu’entre l’Archevêque et les paroisses étaient empruntes d’un respect mutuel qui n’est pas la caractéristique première de la plupart des juridictions orthodoxes. C’est pourquoi en 2013-2015 l’Archevêché avait été si choqué par des méthodes managériales que l’évêque Job ne tenait manifestement pas de l’École théologique de Paris : l’Exarchat russe a vu grandir des générations de fidèles qui n’avaient jamais fait l’expérience du despotisme épiscopal et ne le connaissaient que par ouï-dire, (d’après les récits de personne venues d’autres juridictions). Ni les fidèles ni le clergé ne veulent  précipitamment troquer leur liberté contre quelque chose d’inconnu (ou plutôt désormais trop connu).
Lors de leur assemblée pastorale du 15 décembre 2018, qui s’est tenue deux semaines après que l’Archevêché a entendu de la bouche du synode de Constantinople : «Rompez les rangs! », la volonté de ne pas obtempérer a semblé être quasiment unanime.
On ne peut pas qualifier de facile le choix auquel fait face l’Archevêché. Immédiatement après que le synode de Constantinople a pris la décision de dissoudre l’Archevêché, les historiens de celui-ci ont rappelé qu’une situation similaire était déjà arrivée dans les années 1965-1966. À l’époque, à la toute fin de l’année 1965, Constantinople avait renoncé à exercer sa juridiction sur l’Archevêché, qui s’était alors déclaré Église autocéphale. Cette situation a duré jusqu’en 1971. Mais en 2018, les circonstances sont assez différentes. En 1965, l’Archevêque Georges (Tarassoff) était entouré des théologiens de l’Institut de Théologie Saint-Serge, qui ne craignant pas de se distancer des schémas connus, avaient posé les fondements théologiques et canoniques de l’autocéphalie de l’Archevêché. Aujourd’hui, l’Institut Saint-Serge, bien que disposant encore d’une certaine notoriété dans le monde orthodoxe, n’est plus qu’une pâle réplique de ce qu’il fut et, ce qui est encore plus regrettable, tient à être considéré comme neutre et s’empresse de retirer ses billes du jeu dès l’instant où l’Archevêché se trouve dans l’adversité. Pour l’heure, l’Archevêché manque de théologiens ainsi que de responsables charismatiques. On ne peut certes pas dire qu’il n’y en ait aucun, mais on constate que dans ces circonstances de pénurie, ceux qui sont là se retrouvent à porter une responsabilité historique qui pèse lourdement sur leurs épaules. Par ailleurs, Constantinople, dans sa prévoyance calculatrice, a empêché l’Archevêché d’avoir plus d’un évêque, alors qu’en 1965-1971, il y en avait plusieurs. Pour ces raisons, en 2019,  vouloir déclarer l’autocéphalie serait une voie périlleuse que ni les clercs, ni les fidèles de l’Archevêché ne semblent prêts  d’emprunter. C’est pourquoi l’Archevêché est placé devant la nécessité, pour reprendre les termes du communiqué du synode de Constantinople, de chercher une «protection canonique ».
Rapidement, en moins de trois semaines, entre le moment où est paru le communiqué et celui où s’est tenue l’assemblée pastorale du 15 décembre, l’Archevêché a reçu trois propositions de protection. La rapidité avec laquelle ces propositions sont parvenues à l’Archevêché témoignent du fait que les conceptions de la canonicité divergent selon les différentes Églises : selon le point de vue de Constantinople, en effet, l’existence de l’Archevêché cesse d’être canonique à la date de la décision du synode. L’assemblée pastorale du 15 décembre, cependant,  a fait savoir qu’elle avait reçu des propositions de réception canonique de la part de l’Église Orthodoxe Russe (EOR), de l’Église Orthodoxe Russe Hors Frontières (EORHF) et de l’Église de Roumanie.
Je ne cacherai pas que la proposition de l’EOR me semble être la moins attirante en raison de l’état actuel dans lequel se trouve cette Église. En raison de son mode de fonctionnement et de ses traditions internes, l’Archevêché serait un corps complètement étranger au sein du patriarcat de Moscou et je ne crois pas qu’il pourrait y survivre, quelles que soient les garanties proposées ou les promesses faites par le patriarcat de Moscou aujourd’hui.
Le seul argument tangible en faveur de Moscou serait le fait que l’EOR a respecté les promesses faites à l’EORHF au moment de leur unification (cela dit, l’histoire de la symbiose de ces deux Églises est encore en train de s’écrire). Mais il convient de noter que l’EORHF représente une variante très conservatrice de l’orthodoxie qui, idéologiquement se trouve bien plus proche et plus semblable au patriarcat de Moscou que ne l’est l’Archevêché. On se souviendra, en revanche, de l’expérience catastrophique du diocèse de Souroge (Sourozh), immédiatement digéré par Moscou et transformé en un diocèse russe de l’étranger parmi d’autres.
Autre problème qui se pose, pour l’hypothèse d’un passage à Moscou, c’est celui de la manière dont on convaincra de ce choix la partie du diocèse de Souroge (Sourozh) qui avait, en son temps, quitté le patriarcat de Moscou pour rejoindre l’Archevêché et former un doyenné britannique en son sein. Dans le courant des vingt dernières années, les relations de l’Archevêché avec le Patriarcat de Moscou ont été marquées par les multiples manœuvres de l’EOR pour créer et entretenir un « parti pro-Moscou » au sein de l’Archevêché et ainsi que par les nombreuses tentatives, par le truchement de la Fédération de Russie, de s’approprier les propriétés immobilières de l’Archevêché dans des contentieux judiciaires.
Il est assez difficile de s’imaginer que le Patriarcat de Moscou, une fois qu’il aura englobé l’Archevêché en son sein, puisse le laisser vivre tranquillement de manière autonome. De plus, pour le cas où le choix fait serait celui du Patriarcat de Moscou, on voit se profiler, de manière inévitable, des relations étroites et systématiques avec les représentants de l’État russe qui va avec, si on peut l’exprimer ainsi, le patriarcat de Moscou. On ne sait pas du tout ce que pourrait donner une telle proximité et cette perspective n’est pas de nature à réjouir de nombreux fidèles de l’Archevêché.
Autre point d’inquiétude : l’avenir de la propriété immobilière. En général, dans l’Archevêché, elle appartient aux paroisses, mais le patriarcat de Moscou ainsi que l’État russe n’ont jamais fait mystère de leur appétit persistant à en devenir les propriétaires.
La proposition de l’EORHF (dont je ne connais pas les détails) est préférable à la précédente, en ce qu’elle permettrait à l’Archevêché de maintenir plus de  distances vis-à-vis de l’EOR. Cependant, ces distances seraient-elles suffisantes pour maintenir un espace sécurisé vis-à-vis du patriarcat de Moscou ? l’autre problème de cette solution serait que l’Archevêché et l’EORHF sont des tenants d’idéologies ecclésiales fort peu compatibles.
Il est vrai que de nombreux fidèles de ces deux juridictions partagent le sens d’un passé historique commun : celui de l’Émigration russe. Il est vrai aussi que la vie des paroisses européennes de l’EORHF ne se distingue pas beaucoup de celle de certaines paroisses de l’Archevêché. Cependant, si on cherche à atteler ensemble un cheval et un renne fougueux[1], on va au-devant de difficultés, et ce d’autant plus que l’attelage serait arrimé au patriarcat de Moscou.
La variante de l’Église roumaine semble la plus inattendue. Grâce à l’émigration roumaine interne à l’Union Européenne, l’Église roumaine dispose d’environ 90 paroisses uniquement en France, et les Roumains sont la communauté la plus importante de la diaspora orthodoxe en Europe. Un passage dans l’Église roumaine suppose que l’Archevêché conserve ses statuts et son autonomie. Il n’est pas fait mystère, dans l’Archevêché, que c’est le métropolite Joseph (Pop) qui est à l’origine de la proposition faite par l’Église de Roumanie : il est métropolite du diocèse roumain d’Europe occidentale et méridionale, il est diplômé de l’Institut Saint-Serge, il a été, pendant plusieurs années, prêtre dans l’Archevêché, desservant le monastère de la Protection de la Mère de Dieu à Bussy-en-Othe. Le métropolite Joseph a de bonnes relations avec l’Archevêché et y jouit d’une très bonne réputation. Une entrée de l’Archevêché dans l’Église de Roumanie serait une mesure temporaire, qui donnerait à l’Archevêché la possibilité de reprendre son souffle et de renforcer ses structures, sans compter que le temps passant, certaines circonstances pourraient évoluer, car « Dieu pourrait changer la horde[2]». À condition que l’Archevêché puisse conserver la large part d’autonomie dont il dispose, en conformité avec ses statuts, le passage dans l’Église de Roumanie ne changerait pas grand-chose dans la vie de l’Archevêché et constitue pour le moment, à mes yeux, la meilleure des variantes possibles.
À ce stade, le lecteur peut avoir envie de poser la question suivante : « Pourquoi vouloir à tout prix conserver l’Archevêché avec sa petite centaine de paroisses ? Pourquoi s’acharner à faire perdurer ce reliquat suranné d’une émigration oubliée et de quelques obscurs conciles? Où serait le problème si les paroisses intégraient les métropoles grecques ou se dispersaient à leur convenance, dans diverses juridictions ? La réponse à cette question est déjà donnée plus haut : l’Archevêché est l’un des rares exemples d’un mode de fonctionnement « alternatif » de l’orthodoxie, si l’on peut dire, alternatif dans le sens où il propose une alternative à l’autoritarisme épiscopal qui, depuis des siècles, prédomine dans l’Église Orthodoxe.
Cette différence de l’Archevêché, qui comprend, parmi ses caractéristiques, la liberté, la conciliarité, une conception de l’Église comme d’une œuvre commune des clercs et des laïcs, cette différence, donc, est le fruit d’une réflexion canonique et théologique bien argumentée. Les années ont montré que ce fonctionnement de l’Archevêché était pérenne, même si son chemin n’a pas toujours été triomphal. L’Archevêché est important dans son entier, pour ce qu’il est, aussi bien comme structure que comme Église. De toutes les Églises existantes, c’est peut-être celle qui, moins que toute autre, mérite d’être dissoute (le patriarcat de Constantinople le mérite bien plus, et Moscou fait la paire avec lui). C’est pourquoi le scénario d’un démantèlement de l’Archevêché et la dispersion de ses paroisses dans les diverses juridictions est dommageable non seulement à l’Archevêché, mais aussi à l’orthodoxie dans le monde.
Le conflit actuel dans l’Archevêché voit se télescoper deux époques de la vie de l’Église. D’un côté, on a l’orthodoxie post-byzantine, faite d’ambitions et de «prérogatives», droits accordés au 4e ou au 5e siècles, droits sur lesquels le temps, soi-disant, n’a pas d’emprise, une orthodoxie qui, hormis ses caractéristiques formelles, n’a rien à apporter à l’Européen et qui n’a rien à lui raconter, sauf à lui exposer la liste de ses prérogatives. De l’autre côté, on a une petite Église, pauvre, qui a pour seul objectif de partager le Christ avec les Européens du 21e siècle et qui, imparfaitement, parvient à le faire.
La décision de dissolution de l’Archevêché (comme, par ailleurs, les événements en Ukraine) attire l’attention, une fois de plus, sur la « cuisine » des prises de décision à Constantinople ainsi que sur le problème de la primauté dans l’Église orthodoxe dans son entier. Un groupe de métropolites (le synode) qui n’ont aucun lien avec l’Archevêché, et ne sont manifestement pas animés par des motivations très nobles, au lieu de s’occuper de leurs propres diocèses (qui sont, à de rares exceptions près presque dépourvus de fidèles), décident, par une simple lettre, de modifier l’obédience d’une centaine de paroisses qui ne le leur ont pas demandé, et de démolir un diocèse qu’aucun de ces métropolites n’a jamais contribué à construire. Voilà de quelle manière se prennent les décisions du synode d’une Église qui prétend à la primauté au sein de l’Église Orthodoxe. Qu’y a-t-il de chrétien dans cette décision ? En quoi cette manière de procéder se distingue-t-elle d’une décision qui serait prise par des fonctionnaires non croyants ?

Assemblée Générale Diocésaine du 23 février 2019
Le 23 février, l’assemblée diocésaine va devoir faire un choix. Si l’assemblée confirme l’avis donné le 15 décembre par le clergé de l’Archevêché qui souhaite conserver l’intégrité de l’Archevêché, alors la décision devra être celle d’un passage dans une autre juridiction, et cette décision sera prise en fonction des différentes tendances en présence dans l’Archevêché. Il semble qu’il y ait, actuellement, deux tendances prédominantes exprimées.
Tout d’abord, il y a la tendance, minoritaire que l’on appellera « russe », pour aller vite. Cette tendance est composée de personnes qui considèrent la « russité » comme un élément important de leur appartenance à l’Église orthodoxe. Il y a assez peu de paroisses où cette tendance est majoritaire, mais ce courant dispose néanmoins de moyens de communication et de persuasion non négligeables. Dans l’intervalle de temps qui  nous sépare de l’Assemblée générale, ils seront, bien sûr, activement soutenus de l’extérieur, par la propagande de Moscou (qui consistera à dire que l’on doit accorder sa confiance à Moscou, et qu’il n’y a tout simplement pas d’autre issue pour l’Archevêché.
L’autre tendance peut être désignée comme celle de l’orthodoxie européenne locale (et ce courant comporte en son sein de nombreux descendants de l’émigration russe). Ils voient dans l’Archevêché avant tout une Église Orthodoxe enracinée en Europe occidentale et tiennent aux traditions héritées du concile de Moscou de 1917-1918 et aux enseignement de l’École théologique de Paris parce que cet héritage correspond à leur vison d’une orthodoxie compatible avec la vie en Europe Occidentale.
Cette tendance est majoritaire principalement dans les paroisses multinationales des grandes villes. Je pense que cette tendance prédomine et qu’elle dispose de quelques meneurs qui sont capables d’exprimer leur position de manière articulée et prêts à se battre pour cette position.
Entre les deux tendances, comme entre deux pôles, bien sûr, il y a des fidèles et des paroisses qui se contenteront de suivre ceux qui parviendront à les convaincre. La décision du 23 février 2019 dépendra fortement de la capacité des représentants et meneurs de ces deux tendances à argumenter leur position.
Si l’Archevêché survit à cette crise nouvelle crise, il devra en tirer les leçons et réfléchir à la définition de sa mission, à la manière de se renforcer pour résister aux vents délétères qui soufflent vers lui en provenance des capitales de l’Orthodoxie Mondiale.

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[1]    D’après une citation de Pouchkine, dans Poltava.
[2]    D’après des paroles attribuées au prince Dimitri Donskoi : «  Si Dieu change la horde, nos enfants ne paieront plus de tribut à la horde ».