Victor ALEXANDROV, L’Archevêché à la croisée des chemins

L’Archevêché à la croisée des chemins
9 janvier 2019 Victor Alexandrov traduction du russe
Pendant que l’attention de l’opinion des milieux ecclésiastiques (et séculiers) se focalisait sur l’autocéphalie de l’Ukraine, le patriarcat œcuménique a jugé bon de faire apparaître un nouveau point chaud sur la carte du monde orthodoxe : il s’agit de l’Archevêché des paroisses russes en Europe Occidentale, plus connu en Russie sous le nom d’Exarchat Russe, par ailleurs aussi fréquemment désigné « Rue Daru », par le nom de la rue sur laquelle se trouve la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski à Paris. Le 27 novembre 2018, le synode de Constantinople a annoncé sa décision de retirer à l’Archevêché le statut ecclésiastique (Tomos) qu’il lui avait accordé en 1999,  et qui lui garantissait une certaine autonomie ainsi que le respect de son statut juridique propre.
Du point de vue des chiffres, l’Archevêché est une petite Église qui comprend une centaine de paroisses, 2 monastères et 7 ermitages dans plusieurs pays européens, dont 58 paroisses en France. Cependant cette Église a joué un rôle important dans l’histoire de l’orthodoxie au 20e siècle ainsi qu’au début du 21e siècle. C’est pourquoi son avenir reste un sujet d’intérêt et un enjeu symbolique important pour les orthodoxes par-delà les limites de l’Archevêché, qui ne peuvent rester indifférents à son sort.
L’Archevêché a été fondé suite à l’exil de centaines de milliers d’émigrés qui quittaient l’ex-empire russe pour fuir la dictature bolchevique. Tout au long de son histoire, l’Archevêché, bon an mal an, s’est efforcé de rester fidèle, dans son mode d’organisation, aux décisions du Concile de Moscou de 1917-1918, ce qui, bien entendu, était impossible aux orthodoxes de Russie.
Ainsi, l’Archevêché élit son archevêque dirigeant, dispose d’un conseil diocésain composé de clercs et de laïcs et dont l’avis n’est pas uniquement consultatif, organise des assemblées générales clérico-laïques ; quant à ses paroisses, elles comportent, elles aussi, des conseils paroissiaux clérico-laïques et disposent d’une forte autonomie vis-à-vis de l’Archevêché. Ces éléments de gouvernance participative et élective font de l’Archevêché une structure ecclésiale qui se distingue assez fortement des pratiques couramment en vigueur dans l’orthodoxie contemporaine. Ce mode de fonctionnement n’est comparable qu’à celui de l’Église Orthodoxe en Amérique, qui se trouve être le fruit d’un même processus historique et dont le mode de fonctionnement est, lui aussi, inspiré des décisions du Concile de Moscou de 1917-1918 ainsi que par la pensée théologique de l’ « École de Paris » qui a vu le jour, précisément, dans l’Archevêché.
On comprend, dès lors, que ce sont justement ces deux Églises qui agacent les tenants d’une orthodoxie « traditionnelle », celle-ci cherchant, avant tout, à garder le contrôle sur ses diasporas ethniques d’Europe et d’Amérique et répétant à l’envi qu’« il ne faut pas confondre Église et démocratie ».
Bien que l’Archevêché soit, par ses origines, lié à la Russie pré-révolutionnaire (mais non pas avec l’Église Russe d’aujourd’hui), ses fidèles, de nos jours, sont des Européens qui relèvent de plusieurs dizaines de nationalités différentes.
La dénomination officielle de cette Église, « Archevêché des Églises russes en Europe Occidentale » relève de l’histoire et ne reflète plus la composition ethnique de cette entité, même si l’élément russe y reste important, si la tradition liturgique russe y est majoritaire et si elle tire très clairement ses origines de l’Église Russe d’avant la révolution.
L’Archevêché est la seule juridiction où avec plus ou moins de vigueur selon les moments, se développe  l’idée de créer une Église orthodoxe locale multinationale et territoriale en Europe occidentale, c’est aussi la seule juridiction qui puisse, pour le moment, prétendre en devenir l’embryon. C’est bien la raison de l’agacement qu’elle suscite chez certaines Églises orthodoxes traditionnelles, c’est-à-dire les Églises locales Ethniques.

Pendant les 15-20 dernières années, l’Archevêché a subi de constantes pressions. Ces pressions sont, d’une part, le fait du patriarcat de Moscou et de l’autre du patriarcat de Constantinople.  Ainsi, le patriarcat de Moscou a tenté de créer sa propre métropole d’Europe Occidentale en procédant à l’unification des diverses juridictions « russes » en présence, avant de partir, par l’intermédiaire de la Fédération de Russie, à la conquête des bâtiments de l’Archevêché. Par ailleurs, cela fait au moins une dizaine d’années que l’on peut observer la manière dont patriarcat de Constantinople essaie d’étouffer l’Archevêché : à deux reprises, le synode du patriarcat de Constantinople a refusé de procéder à l’ordination d’un évêque auxiliaire pour l’archevêché, et en 2013, le patriarcat ayant fait ingérence dans l’élection archiépiscopale, l’archimandrite Job (Getcha) a  été élu archevêque au terme de manipulations proprement byzantines ; le souvenir de cet épisode est encore vivace dans l’Archevêché. La période brève (2013-2015), mais houleuse pendant laquelle l’archevêque Job est resté à la tête de l’Archevêché, et qui a vu naître de nombreux conflits entre l’archevêque et les fidèles, semblait avoir été un mauvais rêve : il apparaît aujourd’hui que ce mauvais rêve n’était pas le dernier.
Une décision du synode de Constantinople
Les observateurs tentent de comprendre le choix de la date de cette tentative de liquidation de l’Archevêché. On note que c’est sur un intervalle de deux mois que le Patriarcat de Constantinople a pris sa décision de procéder à des actions décisives en Ukraine d’une part, et celle de procéder à la dissolution de l’Exarchat Russe d’autre part. Il ne semble pas y avoir de lien de causalité entre les deux événements. Ce qui les lie, plus vraisemblablement, est leur origine commune, à savoir les ambitions de Constantinople : soit le patriarche Bartholomée, qui va avoir 79 ans, a décidé qu’il ne pouvait plus se permettre de repousser davantage la réalisation des projets qu’il mûrit de longue date, soit il a été poussé à l’action par des faucons de son entourage, soit il s’agit d’un mélange des deux.
Dans son communiqué adressé à l’archevêque Jean (Renneteau), qui se trouve à la tête de l’Archevêché, le synode de Constantinople, en guise d’explication à sa décision, se contente d’indiquer que les conditions historiques ont beaucoup changé depuis la création de l’Archevêché, il y a presque un siècle, et que le Synode de Constantinople a donc pris cette décision pour renforcer davantage les liens des paroisses de tradition russe avec « l’Église-Mère » de Constantinople. Les paroisses de l’Archevêché sont donc, d’après le communiqué, censées se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople du pays où elles se trouvent.
Pour une personne qui ne connaît pas bien l’Archevêché ou le patriarcat de Constantinople, cette justification peut sembler assez raisonnable, mais au sein de l’Archevêché peu nombreux sont ceux qui la considèrent comme satisfaisante ou convaincante. Les observateurs, au sein de l’Archevêché, ont tout de suite remarqué que le communiqué du synode avait été écrit directement en français, alors que les lettres officielles envoyées par le synode siégeant à Constantinople sont en général toujours écrites en grec. Il apparaît que l’original de la lettre provient de Paris, et ses expéditeurs n’ont même pas  jugé nécessaire de faire planer le doute sur sa provenance. Dans l’Archevêché,  le nom du patriarche Bartholomée n’est pas le seul à être cité comme étant à l’origine de cette décision (même si sans sa participation, aucune décision de dissolution de l’Archevêché n’aurait été possible), on cite aussi le nom d’Emmanuel (Adamakis), métropolite de France, dont l’influence n’a cessé de croître, ces dernières années, au sein du synode de Constantinople. Dans l’Archevêché, le métropolite Emmanuel a laissé un souvenir cuisant de la manière dont il a organisé les élections archiépiscopales de 2013. C’est lui qui, en sa qualité de locum tenens désigné par le patriarche Bartholomée, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour permettre à l’archimandrite Job (Getcha), son protégé d’alors, de remporter ces élections. Au cas où les 58 paroisses de l’Archevêché en France passeraient sous son omophore, le métropolite Emmanuel de France serait aussi le premier bénéficiaire de la décision du synode de Constantinople.
Je pense cependant que la motivation principale d’Emmanuel et de Bartholomée n’est pas, en premier lieu, leur désir de transférer les paroisses de l’Archevêché sous l’omophore des métropolites du patriarcat de Constantinople. Le passage de ces paroisses dans les métropoles de Constantinople, s’il devait se produire, serait au plus considéré comme un agréable avantage collatéral. Il est certes vrai que certains métropolites ont déjà commencé à exercer des pressions sur différentes paroisses de l’Archevêché dans divers pays, et on entend déjà, de-ci de-là, la traditionnelle mélodie byzantine de la « non-canonicité » du statut de l’Archevêché et de la « non-canonicité » du refus de ce dernier de se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople. Mais les auteurs de la décision du synode savent bien que les chances sont maigres de voir les paroisses de l’Archevêché se fondre dans les métropoles du patriarcat de Constantinople.
La motivation principale des hiérarques de Constantinople était sans doute le plaisir de détruire une Église dont Constantinople n’a pas besoin, dont les statuts les dérangent, dont le fonctionnement ne correspond pas à leurs normes. Cette tentative de destruction correspond aux intentions déjà anciennes de la deuxième Rome de renforcer ses positions dans l’orthodoxie mondiale et avant tout dans ce que l’on appelle « la diaspora ».
Trois jours après la décision de dissolution prise par le synode de Constantinople, le Conseil de l’Archevêché a rédigé une réponse remarquable. Le sens en était qu’aucun synode ou assemblée ne peut être considéré comme un organe supérieur aux diocèses (selon  la tradition de l’Église, les diocèses qui constituent des Églises locales) qui pourrait leur imposer sa volonté arbitraire : aucun synode ne peut décider de procéder à la liquidation d’un diocèse existant sans consulter le diocèse ainsi que son évêque. L’Archevêché est regroupé autour de son évêque, et l’évêque lui permet de rester Église, et selon ses statuts, l’Archevêché décidera de son propre sort  lors de son Assemblée Générale diocésaine.

Les différentes options.
D’après les échos qui parviennent de l’Archevêché, personne n’envisage la solution d’une dissolution et d’une fusion dans les diocèses « grecs ». Et ce n’est pas seulement pour des raisons ethniques, même si ce facteur a aussi son importance. Plus important – notamment pour le clergé - est le fait que l’Archevêché a toujours constitué un îlot de liberté, où les relations entre l’Archevêque et le clergé ainsi qu’entre l’Archevêque et les paroisses étaient empruntes d’un respect mutuel qui n’est pas la caractéristique première de la plupart des juridictions orthodoxes. C’est pourquoi en 2013-2015 l’Archevêché avait été si choqué par des méthodes managériales que l’évêque Job ne tenait manifestement pas de l’École théologique de Paris : l’Exarchat russe a vu grandir des générations de fidèles qui n’avaient jamais fait l’expérience du despotisme épiscopal et ne le connaissaient que par ouï-dire, (d’après les récits de personne venues d’autres juridictions). Ni les fidèles ni le clergé ne veulent  précipitamment troquer leur liberté contre quelque chose d’inconnu (ou plutôt désormais trop connu).
Lors de leur assemblée pastorale du 15 décembre 2018, qui s’est tenue deux semaines après que l’Archevêché a entendu de la bouche du synode de Constantinople : «Rompez les rangs! », la volonté de ne pas obtempérer a semblé être quasiment unanime.
On ne peut pas qualifier de facile le choix auquel fait face l’Archevêché. Immédiatement après que le synode de Constantinople a pris la décision de dissoudre l’Archevêché, les historiens de celui-ci ont rappelé qu’une situation similaire était déjà arrivée dans les années 1965-1966. À l’époque, à la toute fin de l’année 1965, Constantinople avait renoncé à exercer sa juridiction sur l’Archevêché, qui s’était alors déclaré Église autocéphale. Cette situation a duré jusqu’en 1971. Mais en 2018, les circonstances sont assez différentes. En 1965, l’Archevêque Georges (Tarassoff) était entouré des théologiens de l’Institut de Théologie Saint-Serge, qui ne craignant pas de se distancer des schémas connus, avaient posé les fondements théologiques et canoniques de l’autocéphalie de l’Archevêché. Aujourd’hui, l’Institut Saint-Serge, bien que disposant encore d’une certaine notoriété dans le monde orthodoxe, n’est plus qu’une pâle réplique de ce qu’il fut et, ce qui est encore plus regrettable, tient à être considéré comme neutre et s’empresse de retirer ses billes du jeu dès l’instant où l’Archevêché se trouve dans l’adversité. Pour l’heure, l’Archevêché manque de théologiens ainsi que de responsables charismatiques. On ne peut certes pas dire qu’il n’y en ait aucun, mais on constate que dans ces circonstances de pénurie, ceux qui sont là se retrouvent à porter une responsabilité historique qui pèse lourdement sur leurs épaules. Par ailleurs, Constantinople, dans sa prévoyance calculatrice, a empêché l’Archevêché d’avoir plus d’un évêque, alors qu’en 1965-1971, il y en avait plusieurs. Pour ces raisons, en 2019,  vouloir déclarer l’autocéphalie serait une voie périlleuse que ni les clercs, ni les fidèles de l’Archevêché ne semblent prêts  d’emprunter. C’est pourquoi l’Archevêché est placé devant la nécessité, pour reprendre les termes du communiqué du synode de Constantinople, de chercher une «protection canonique ».
Rapidement, en moins de trois semaines, entre le moment où est paru le communiqué et celui où s’est tenue l’assemblée pastorale du 15 décembre, l’Archevêché a reçu trois propositions de protection. La rapidité avec laquelle ces propositions sont parvenues à l’Archevêché témoignent du fait que les conceptions de la canonicité divergent selon les différentes Églises : selon le point de vue de Constantinople, en effet, l’existence de l’Archevêché cesse d’être canonique à la date de la décision du synode. L’assemblée pastorale du 15 décembre, cependant,  a fait savoir qu’elle avait reçu des propositions de réception canonique de la part de l’Église Orthodoxe Russe (EOR), de l’Église Orthodoxe Russe Hors Frontières (EORHF) et de l’Église de Roumanie.
Je ne cacherai pas que la proposition de l’EOR me semble être la moins attirante en raison de l’état actuel dans lequel se trouve cette Église. En raison de son mode de fonctionnement et de ses traditions internes, l’Archevêché serait un corps complètement étranger au sein du patriarcat de Moscou et je ne crois pas qu’il pourrait y survivre, quelles que soient les garanties proposées ou les promesses faites par le patriarcat de Moscou aujourd’hui.
Le seul argument tangible en faveur de Moscou serait le fait que l’EOR a respecté les promesses faites à l’EORHF au moment de leur unification (cela dit, l’histoire de la symbiose de ces deux Églises est encore en train de s’écrire). Mais il convient de noter que l’EORHF représente une variante très conservatrice de l’orthodoxie qui, idéologiquement se trouve bien plus proche et plus semblable au patriarcat de Moscou que ne l’est l’Archevêché. On se souviendra, en revanche, de l’expérience catastrophique du diocèse de Souroge (Sourozh), immédiatement digéré par Moscou et transformé en un diocèse russe de l’étranger parmi d’autres.
Autre problème qui se pose, pour l’hypothèse d’un passage à Moscou, c’est celui de la manière dont on convaincra de ce choix la partie du diocèse de Souroge (Sourozh) qui avait, en son temps, quitté le patriarcat de Moscou pour rejoindre l’Archevêché et former un doyenné britannique en son sein. Dans le courant des vingt dernières années, les relations de l’Archevêché avec le Patriarcat de Moscou ont été marquées par les multiples manœuvres de l’EOR pour créer et entretenir un « parti pro-Moscou » au sein de l’Archevêché et ainsi que par les nombreuses tentatives, par le truchement de la Fédération de Russie, de s’approprier les propriétés immobilières de l’Archevêché dans des contentieux judiciaires.
Il est assez difficile de s’imaginer que le Patriarcat de Moscou, une fois qu’il aura englobé l’Archevêché en son sein, puisse le laisser vivre tranquillement de manière autonome. De plus, pour le cas où le choix fait serait celui du Patriarcat de Moscou, on voit se profiler, de manière inévitable, des relations étroites et systématiques avec les représentants de l’État russe qui va avec, si on peut l’exprimer ainsi, le patriarcat de Moscou. On ne sait pas du tout ce que pourrait donner une telle proximité et cette perspective n’est pas de nature à réjouir de nombreux fidèles de l’Archevêché.
Autre point d’inquiétude : l’avenir de la propriété immobilière. En général, dans l’Archevêché, elle appartient aux paroisses, mais le patriarcat de Moscou ainsi que l’État russe n’ont jamais fait mystère de leur appétit persistant à en devenir les propriétaires.
La proposition de l’EORHF (dont je ne connais pas les détails) est préférable à la précédente, en ce qu’elle permettrait à l’Archevêché de maintenir plus de  distances vis-à-vis de l’EOR. Cependant, ces distances seraient-elles suffisantes pour maintenir un espace sécurisé vis-à-vis du patriarcat de Moscou ? l’autre problème de cette solution serait que l’Archevêché et l’EORHF sont des tenants d’idéologies ecclésiales fort peu compatibles.
Il est vrai que de nombreux fidèles de ces deux juridictions partagent le sens d’un passé historique commun : celui de l’Émigration russe. Il est vrai aussi que la vie des paroisses européennes de l’EORHF ne se distingue pas beaucoup de celle de certaines paroisses de l’Archevêché. Cependant, si on cherche à atteler ensemble un cheval et un renne fougueux[1], on va au-devant de difficultés, et ce d’autant plus que l’attelage serait arrimé au patriarcat de Moscou.
La variante de l’Église roumaine semble la plus inattendue. Grâce à l’émigration roumaine interne à l’Union Européenne, l’Église roumaine dispose d’environ 90 paroisses uniquement en France, et les Roumains sont la communauté la plus importante de la diaspora orthodoxe en Europe. Un passage dans l’Église roumaine suppose que l’Archevêché conserve ses statuts et son autonomie. Il n’est pas fait mystère, dans l’Archevêché, que c’est le métropolite Joseph (Pop) qui est à l’origine de la proposition faite par l’Église de Roumanie : il est métropolite du diocèse roumain d’Europe occidentale et méridionale, il est diplômé de l’Institut Saint-Serge, il a été, pendant plusieurs années, prêtre dans l’Archevêché, desservant le monastère de la Protection de la Mère de Dieu à Bussy-en-Othe. Le métropolite Joseph a de bonnes relations avec l’Archevêché et y jouit d’une très bonne réputation. Une entrée de l’Archevêché dans l’Église de Roumanie serait une mesure temporaire, qui donnerait à l’Archevêché la possibilité de reprendre son souffle et de renforcer ses structures, sans compter que le temps passant, certaines circonstances pourraient évoluer, car « Dieu pourrait changer la horde[2]». À condition que l’Archevêché puisse conserver la large part d’autonomie dont il dispose, en conformité avec ses statuts, le passage dans l’Église de Roumanie ne changerait pas grand-chose dans la vie de l’Archevêché et constitue pour le moment, à mes yeux, la meilleure des variantes possibles.
À ce stade, le lecteur peut avoir envie de poser la question suivante : « Pourquoi vouloir à tout prix conserver l’Archevêché avec sa petite centaine de paroisses ? Pourquoi s’acharner à faire perdurer ce reliquat suranné d’une émigration oubliée et de quelques obscurs conciles? Où serait le problème si les paroisses intégraient les métropoles grecques ou se dispersaient à leur convenance, dans diverses juridictions ? La réponse à cette question est déjà donnée plus haut : l’Archevêché est l’un des rares exemples d’un mode de fonctionnement « alternatif » de l’orthodoxie, si l’on peut dire, alternatif dans le sens où il propose une alternative à l’autoritarisme épiscopal qui, depuis des siècles, prédomine dans l’Église Orthodoxe.
Cette différence de l’Archevêché, qui comprend, parmi ses caractéristiques, la liberté, la conciliarité, une conception de l’Église comme d’une œuvre commune des clercs et des laïcs, cette différence, donc, est le fruit d’une réflexion canonique et théologique bien argumentée. Les années ont montré que ce fonctionnement de l’Archevêché était pérenne, même si son chemin n’a pas toujours été triomphal. L’Archevêché est important dans son entier, pour ce qu’il est, aussi bien comme structure que comme Église. De toutes les Églises existantes, c’est peut-être celle qui, moins que toute autre, mérite d’être dissoute (le patriarcat de Constantinople le mérite bien plus, et Moscou fait la paire avec lui). C’est pourquoi le scénario d’un démantèlement de l’Archevêché et la dispersion de ses paroisses dans les diverses juridictions est dommageable non seulement à l’Archevêché, mais aussi à l’orthodoxie dans le monde.
Le conflit actuel dans l’Archevêché voit se télescoper deux époques de la vie de l’Église. D’un côté, on a l’orthodoxie post-byzantine, faite d’ambitions et de «prérogatives», droits accordés au 4e ou au 5e siècles, droits sur lesquels le temps, soi-disant, n’a pas d’emprise, une orthodoxie qui, hormis ses caractéristiques formelles, n’a rien à apporter à l’Européen et qui n’a rien à lui raconter, sauf à lui exposer la liste de ses prérogatives. De l’autre côté, on a une petite Église, pauvre, qui a pour seul objectif de partager le Christ avec les Européens du 21e siècle et qui, imparfaitement, parvient à le faire.
La décision de dissolution de l’Archevêché (comme, par ailleurs, les événements en Ukraine) attire l’attention, une fois de plus, sur la « cuisine » des prises de décision à Constantinople ainsi que sur le problème de la primauté dans l’Église orthodoxe dans son entier. Un groupe de métropolites (le synode) qui n’ont aucun lien avec l’Archevêché, et ne sont manifestement pas animés par des motivations très nobles, au lieu de s’occuper de leurs propres diocèses (qui sont, à de rares exceptions près presque dépourvus de fidèles), décident, par une simple lettre, de modifier l’obédience d’une centaine de paroisses qui ne le leur ont pas demandé, et de démolir un diocèse qu’aucun de ces métropolites n’a jamais contribué à construire. Voilà de quelle manière se prennent les décisions du synode d’une Église qui prétend à la primauté au sein de l’Église Orthodoxe. Qu’y a-t-il de chrétien dans cette décision ? En quoi cette manière de procéder se distingue-t-elle d’une décision qui serait prise par des fonctionnaires non croyants ?

Assemblée Générale Diocésaine du 23 février 2019
Le 23 février, l’assemblée diocésaine va devoir faire un choix. Si l’assemblée confirme l’avis donné le 15 décembre par le clergé de l’Archevêché qui souhaite conserver l’intégrité de l’Archevêché, alors la décision devra être celle d’un passage dans une autre juridiction, et cette décision sera prise en fonction des différentes tendances en présence dans l’Archevêché. Il semble qu’il y ait, actuellement, deux tendances prédominantes exprimées.
Tout d’abord, il y a la tendance, minoritaire que l’on appellera « russe », pour aller vite. Cette tendance est composée de personnes qui considèrent la « russité » comme un élément important de leur appartenance à l’Église orthodoxe. Il y a assez peu de paroisses où cette tendance est majoritaire, mais ce courant dispose néanmoins de moyens de communication et de persuasion non négligeables. Dans l’intervalle de temps qui  nous sépare de l’Assemblée générale, ils seront, bien sûr, activement soutenus de l’extérieur, par la propagande de Moscou (qui consistera à dire que l’on doit accorder sa confiance à Moscou, et qu’il n’y a tout simplement pas d’autre issue pour l’Archevêché.
L’autre tendance peut être désignée comme celle de l’orthodoxie européenne locale (et ce courant comporte en son sein de nombreux descendants de l’émigration russe). Ils voient dans l’Archevêché avant tout une Église Orthodoxe enracinée en Europe occidentale et tiennent aux traditions héritées du concile de Moscou de 1917-1918 et aux enseignement de l’École théologique de Paris parce que cet héritage correspond à leur vison d’une orthodoxie compatible avec la vie en Europe Occidentale.
Cette tendance est majoritaire principalement dans les paroisses multinationales des grandes villes. Je pense que cette tendance prédomine et qu’elle dispose de quelques meneurs qui sont capables d’exprimer leur position de manière articulée et prêts à se battre pour cette position.
Entre les deux tendances, comme entre deux pôles, bien sûr, il y a des fidèles et des paroisses qui se contenteront de suivre ceux qui parviendront à les convaincre. La décision du 23 février 2019 dépendra fortement de la capacité des représentants et meneurs de ces deux tendances à argumenter leur position.
Si l’Archevêché survit à cette crise nouvelle crise, il devra en tirer les leçons et réfléchir à la définition de sa mission, à la manière de se renforcer pour résister aux vents délétères qui soufflent vers lui en provenance des capitales de l’Orthodoxie Mondiale.

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[1]    D’après une citation de Pouchkine, dans Poltava.
[2]    D’après des paroles attribuées au prince Dimitri Donskoi : «  Si Dieu change la horde, nos enfants ne paieront plus de tribut à la horde ».

2 commentaires:

Unknown a dit…

Excellente analyse de M. Victor Alexandrov. Il faut prier pour que Dieu soutienne Mgr Jean et ses fidèles.
Père Jean-Paul Lefebvre-Filleau,
Recteur de la paroisse orthodoxe Sainte Catherine d'Alexandrie, à Vernon/La Chapelle-Réanville (Eure) - Patriarcat de Roumanie -. Aumônier orthodoxe de la Préfecture de Police de Paris. Ancien étudiant de l'Institut Saint Serge.

Matthieu Sollogoub a dit…

Très bonne analyse, effectivement.

Il me semble que les membres de l'Archevêché devraient discuter de façon fraternelle dans le but d'arriver à un consensus. Cet état des lieux pourrait être un début de discussion, même si il y a eu quelques développements depuis, comme la réception de la lettre du Phanar et la pressions de certains évêques sur notre clergé. Mais en réalité rien ni de très surprenant ni de très inattendu.

Est-ce que ce blog peut être le lieu d'un tel débat?

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